L'âme de la terre

Zinnkoepflé

Tel un temple élevé à la gloire du dieu soleil, le Zinnkoepflé projette son profil majestueux au-dessus des communes haut-rhinoises de Westhalten et Soultzmatt, gardiennes de la vallée hautement noble, Vallis Praenobilis, où les dignitaires de l'Ancien Régime venaient s'enivrer de la douce volupté de ses fontaines prophétiques. Le dieu du soleil est aussi le dieu des sources dans la mythologie germanique.


Selon la légende, les gens du pays le célébraient jadis sur les hauteurs du Zinnkoepflé, appelé Sonnenkoepflé, le mont du soleil, pour le remercier des bienfaits dont il avait pourvu la vallée. C'est ainsi que les eaux balsamiques de Soultzmatt coulent au pied de la montagne depuis le XIIIe siècle, tandis que sur ses flancs jaillissent, depuis le Moyen Age, des vins qui exhalent les forces de la nature.

Le roi Dagobert
Westhalten et Soultzmatt apparaissent au XIe siècle dans des textes qui relatent la présence de la vigne. Ces lieux-dits font à l'époque partie des territoires de Obermundat, confiés par le bon roi Dagobert à l'évêque de Strasbourg au grand dam de son concurrent l'évêque de Bâle qui devait assurer, pour sa part, la gestion spirituelle d'une population adepte du culte du soleil et hantée par les sorcières nichées dans le Bollenberg, la colline en face du Zinnkoepflé. "Les prélats se disputeront longtemps la possession du vignoble, car l'évêque suisse voulait bien se charger des âmes du peuple, à condition d'avoir le vin qui lui permit de réjouir la sienne", raconte René Brun de Soultzmatt, vigneron-récoltant passionné d'histoire. Mais les princes évêques n'étaient pas les seuls à guerroyer par désœuvrement, plus de 60 familles nobles s'installeront au cours des siècles dans la vallée, inspirées par la convoitise, sœur jumelle de l'oisiveté. "Il y avait jadis sept châteaux à Soultzmatt, servant de repaire à l'aristocratie alsacienne, aujourd'hui ils ont tous disparu, sauf un, le Wagenbourg, occupé par une exploitation viticole", note René Brun.

L'âme de la terre
Les anciens moellons des bâtisses féodales sont venus paver les chemins du vignoble et soutenir les terrasses du Zinnkoepflé, devenu le dépositaire de la noblesse d'autrefois. Sur les pentes déprimées du massif, les vignes grimpent en colonnes striées, recouvrant de leur verte crinière les aspérités du terrain dompté par la main de l'homme. Les racines s'infiltrent entre les failles de la roche fissurée pour sonder les mystères de la terre qu'elles dévoileront plus tard dans l'âme de la bouteille.

Le Petit Ballon des Vosges dresse un rempart contre les menaces qui voudraient perturber le climat méridional de la zone.

"Alors que la plupart du vignoble alsacien regarde vers le Rhin, le Zinnkoepflé se trouve dans une sorte de cuvette protégée des vents d'ouest et des orages estivaux. La pluviométrie atteint à peine 270 mm pendant la période végétative et les gelées sont absentes. Le Petit Ballon arrête les courants froids et les libère ensuite sous forme de brise légère bénéfique au développement du raisin", raconte Martin Klein, président du syndicat viticole de Soultzmatt.

Ce climat exceptionnel crée autour du vignoble un prodigieux éden. Au creux de la vallée, ça et là, fleurissent l'amandier, le citronnier ou l'oranger tandis qu'au sommet du grand cru s'épanouit une flore et une faune originaires des abords de la Mer Noire, berceau de la viticulture. Le chêne cendré et l'hélianthine jaune côtoient les orchidées, le géranium sanguin, le lin ou l'anémone pulsatile, où viennent se prélasser la cigale Montana, la mante religieuse ou le lézard vert.

Le sommet des grands crus
Dans ces lieux enchantés arrosés de soleil, la vigne, exposée au sud, sud-est, prospère jusqu'à 430 m d'altitude sans risque de souffrir du frimas. "Le Zinnkoepflé est le sommet des grands crus d'Alsace et celui où les raisins atteignent facilement les plus hauts degrés de maturité", déclare sans ambages Gérard Boesch, vigneron à Soultzmatt. "C'est le terroir d'Alsace où l'on fait le plus de vendanges tardives, non pas par vanité, mais parce que le confit des fruits est sans pareil" affirme Seppi Landmann, vigneron qui pousse la coquetterie jusqu'à vendanger certaines cuvées sous les neiges de l'hiver.

Le calcaire coquillier du Muschelkalk, parsemé d'inclusions gréseuses, sur lequel reposent les sols du Zinnkoepflé apporte une finesse aromatique et une remarquable acidité sur lesquelles vient se structurer la superbe puissance des vins de ce terroir. Trois cépages peuplent les quelques 68 ha du grand cru : gewurztraminer, riesling et tokay pinot gris. Parmi les trois, le gewurztraminer est sans nul doute celui qui a la préférence des vignerons, même si certains comme Sébastien Diringer de Westhalten ou Eric Rominger de Bergholtz avouent avoir un faible pour le riesling qui peut atteindre des sommets de longévité. "Plus de 50 ans, quand il est vinifié en sec", affirme Seppi Landmann.

Remarquables par leur fruité, vigoureux et denses, équilibrés et persistants au palais ces rieslings sont promis à un bel avenir. "Les gewurztraminers se distinguent, quant à eux, par leur finesse florale, des arômes exotiques frais dans leur jeunesse, évoluant ensuite vers des notes d'épices, d'anis étoilé, de menthe", explique Jean Marie Haag de Soultzmatt. Les tokays pinots gris, derniers venus sur le grand cru, expriment un côté puissant et capiteux, avec des notes grillées, dans leur belle robe dorée.

Produit rare
"L'avantage des vins du Zinnkoepflé, c'est qu'ils apportent déjà du plaisir quand ils sont jeunes, après 18 mois par exemple, et que, en vieillissant, ils conservent toute leur fraîcheur et leur grâce juvénile", déclare René Brun. L'assiduité d'une clientèle particulièrement gourmande des vins du Zinnkoepflé renforce la conviction d'être en possession d'un produit rare : "Nous voudrions faire des stocks que nous ne le pourrions pas", affirment les vignerons, tout en reconnaissant que cela peut entraver parfois la découverte du potentiel de vieillissement que peuvent avoir les vins d'Alsace. "Ce qui est important dans notre démarche, explique Eric Rominger, c'est de bien faire la différence entres les vins de terroir, et les vins des autres vignes. Dans les premiers, il faut se démarquer en faisant un produit exceptionnel qui souligne la typicité et le potentiel légué par la nature du sol et du microclimat, dans les deuxièmes on peut mettre davantage l'accent sur le cépage. Il faut avoir le courage de cultiver les deux aspects pour valoriser au mieux toutes les capacités du vignoble alsacien".

Faire du grand cru, c'est répondre à certaines exigences de qualité, rappelle Sébastien Diringer. Tout le monde ne semble pas encore l'admettre. "Il y a, sur le Zinnkoepflé, certains exploitants qui ne revendiquent pas l'appellation, comme s'ils craignaient de ne pas être à la hauteur". Une aptitude incompréhensible "quand on a une telle merveille entre ses mains", s'exclame Gérard Boesch, résolument déterminé, tout comme ses collègues vignerons-récoltants, à inscrire les vins du Zinnkoepflé au tableau d'honneur des meilleurs grands crus d'Alsace.

Vous pouvez lire l'Avis du Connaisseur sur les vins issus de ce terroir.

Victor CANALES

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