Mystère de la création

Wiebelsberg

Revenir à Andlau c'est refaire un pèlerinage aux sources de la viticulture alsacienne. Certes, d'autres lieux prétendent, à juste titre, en être le berceau. Mais ici, la diversité des terroirs, l'histoire qui les entourent et la philosophie des vignerons nous entraînent dans la recherche de significations qui bousculent les apparences. Petit tour sur la côte du grand cru Wiebelsberg sur le chemin initiatique des vins d'exception. Lorsqu'on observe Andlau du haut du Wiebelsberg, l'atmosphère chargée d'arômes devient apaisante.


De la cité blottie dans l'étroite vallée monte vers le vignoble un souffle créateur qui invite au recueillement. Dans le silence empli de couleurs émergent des voix qui nous parlent de la vie d'autrefois. L'espace restitue la mémoire des êtres qui par leurs actions temporelles ont voulu donner à leur existence terrestre une aura d'éternité. Leurs exploits, les mythes et les légendes qui les accompagnent, naissent de la terre et se propagent dans le temps comme un rayon de lumière qui nous parvient du fonds des âges. Sainte Richarde, répudiée par son mari, Charles le Gros, fit bâtir son couvent, vers 880, auprès d'une source signalée par une ourse qui y faisait boire son petit (ou voulait l'y enterrer selon d'autres versions). Autour de cette abbaye princière s'épanouit un vignoble capable d'étancher la soif de la seigneurie de robe et d'épée qui, pendant des siècles, marqua l'histoire d'Andlau. Aujourd'hui, les terroirs célébrés en ces temps reculés, revivent sous l'appellation grand cru.

Mystère de la création
Les noms des terroirs évoquent parfois la morphologie du terrain qui les accueille, comme les terrasses dans le Kastelberg ; d'autres fois, ils se confondent avec les hommes qui les ont mis en valeur, tels les moines dans le Moenchberg, mais souvent la dénomination des lieux-dits est le produit de l'imagination populaire. Les consonances alémaniques du nom Wiebelsberg avec le mot "dame ", établissent une sorte de parenté avec les nobles demoiselles de l'abbaye de Sainte-Richarde, permettant d'imaginer ce terroir comme le jardin des délices des abbesses d'antan. Pourtant la filiation du nom serait ailleurs. Elle découlerait de la déformation de " Michelberg ", appellation dérivée de l'église Saint-Michel qui surplombait le massif et à laquelle appartenait le vignoble du Wiebelsberg. Cette explication enrichit l'aspect légendaire du lieu. L'archange saint Michel, était considéré, au Moyen Age, comme le premier chevalier de la chrétienté, car il avait terrassé le dragon pour défendre Dieu. Mais le dragon, pour certains alchimistes, représentait la terre et le feu (c'est-à-dire le soleil), et de sa communion avec l'air et l'eau, incarnés par la femme, naquit la végétation... La fable et les éléments naturels se rejoignent dans l'interprétation du mystère de la création. Dans le Wiebelsberg, cette union s'établit par le caractère de ses vins, soyeux, tout en dentelles, aptes à satisfaire les dames "du temps de jadis " et d'aujourd'hui.

Exploration souterraine
A première vue, le Wiebelsberg, apparaît comme la continuité géographique du Kastelberg. Les deux terroirs, exposés au sud et sud-est, se juxtaposent, ceinturant les flancs de la même colline, entre 240 et 300 mètres d'altitude, au-dessus de la commune d'Andlau. Ils partagent la même pauvreté de sol affleuré par la roche mère, une pente abrupte, plus inclinée dans le Kastelberg, et l'influence de la rivière qui coule au fond de la vallée. Le riesling est le cépage roi dans les deux grands crus. Mais l'espace terrestre qui délimite leur étendue détermine la singularité géologique de chacun et la personnalité de leurs vins. Le Kastelberg, constitué de schistes de Steige, s'apparente à un étalon indomptable qui essaime sur sa progéniture sa minéralité fulgurante. Le Wiebelsberg, plus candide, évoque le raffinement du sable cristallin qui glisse entre les mains. Dans ses sols sableux, formés de grès de Vosges et de dépôts du quaternaire, les racines des vignes descendent dans la pierre friable à la recherche des oligo-éléments que le ruissellement entraîne en profondeur. Et, de cette exploration souterraine, elles ramènent vers les raisins la matière intime qui donne aux vins leur finesse et leur complexité. " Plus les racines s'enfoncent dans le sol et plus le vin se distingue par sa longueur et sa persistance en bouche ", déclare Rémy Gresser, solide et volubile vigneron d'Andlau. Dans les terrains riches, la vigne trouve en surface l'essentiel de sa nourriture, les vins sont puissants, d'une opulence qui emplit le palais, dans les terrains légers comme le Wiebelsberg ils possèdent l'élégance aérienne de la féminité. " Délicats et sveltes au début, ils prennent ensuite de l'ampleur, étoffés par la persistance de notes épicées, de noix de muscade, de pâte d'amandes et de fleurs ", raconte Raphaël Wach, vigneron-récoltant enthousiaste et dévoué comme une jeune vigne.

Cycle de vie
Permettre à la vigne d'exprimer la quintessence du terroir a toujours été le principal souci des vignerons d'Andlau. Un comportement qui se reflète jusque dans la modeste superficie des grands crus, dont le plus étendu, le Wiebelsberg, n'atteint pas 13 hectares. Le respect de l'homogénéité des terroirs est ici omniprésent, tout comme la préoccupation de protéger l'équilibre écologique. En ce sens, les vignerons du Wiebelsberg ont été des précurseurs dans l'élimination des pratiques qui souillent le vignoble. " Dès les années 1983, nous avons appliqué, dans ce grand cru, les méthodes de lutte raisonnée contre les maladies et les insectes, en privilégiant les moyens biologiques et la démarche biodynamique ", explique Rémy Gresser en ajoutant : " Notre rôle consiste à entretenir un environnement sain, où l'équilibre entre la faune et la flore permet à la vigne de réguler ses échanges avec le milieu naturel, le sol, l'eau, l'espace que participent au cycle de la vie".

Vins culturels
Le même désir d'équilibre a conduit les vignerons d'Andlau à définir, dans les années 1960, un plan d'encépagement, respecté encore actuellement, qui accorde une place prépondérante au riesling. Ce choix n'était pas le fruit du hasard, ni le résultat de cogitations intéressées à court terme, mais la prise en compte d'une conduite que le docteur Jean-Louis Stoltz recommandait déjà dans son Ampélographie rhénane en 1852. " Le riesling a besoin de sols souples, bien exposés, acides afin de développer sa minéralité et lorsqu'on se trouve, comme chez nous, au niveau de la roche, les conditions sont idéales pour en faire des grands vins " commente Marc Kreydenweiss, persuadé de l'excellence de ce cépage sur tous les autres. " Le riesling, ajoute-t-il, est un aristocrate là où le tokay pinot gris n'est qu'un bourgeois honorable. Le malheur, c'est que les grands rieslings se comptent sur les doigts de la main. En Alsace, ils sont devenus larges, opulents, plaisant pour satisfaire les goûts de l'Europe du Nord ; ils ont perdu la fraîcheur, la finesse et cette complexité qui ne fatigue jamais le palais, en un mot, ils se sont dénaturés", conclut-il en se demandant si l'on aura enfin le courage de sauver l'étendard du vignoble alsacien. Le problème ne réside pas seulement dans la complaisance à l'égard de l'Europe du nord, conviennent ses collègues vignerons, mais dans une soumission plus large aux frivolités du marché qui décide jusque l'habillage de la bouteille. Le tripatouillage technologique, l'osmose, la réfrigération, les barriques en bois neuf qui tendent à camoufler la nature du vin, facilitent certainement les choses et peut-être se justifient-elles dans les bas de gamme, mais dans les vins de qualité elles sont inacceptables. " Je ne m'oppose pas à ce qu'il y ait de vins de consommation techniquement bien faits, précise à cet égard Rémy Gresser, à condition de bien les distinguer des vins culturels. Les premiers répondent à une demande à un moment donné, les deuxièmes constituent le socle de l'histoire sur lequel se bâtit l'avenir. "

Il paraît que, dans les laboratoires, l'on prépare la programmation génétique des rendements de la vigne, le taux de sucre et d'alcool que les raisins devraient contenir, ainsi que leur degré de maturité. La question que l'on peut se poser est pourquoi ce travail inutile ? Pour en extraire un liquide techniquement parfait dont l'âme sera absente des bouteilles ? L'âme du vin c'est le terroir, la mémoire du sol, ses constituants, les contraintes ou les vertus du climat qui dessinent les troncs noueux de ceps, c'est aussi le travail et le doigté du vigneron. A Andlau, on est convaincu que la nature est irremplaçable, à moins de ne vouloir la détruire.

Vous pouvez lire l'Avis du Connaisseur sur les vins issus de ce terroir.

Victor CANALES

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