Vorbourg

Tel un diadème sur le front d'une belle au bois dormant, ce Grand Cru s'étale en bande étroite le long de la colline plantée de vignes en bordure de l'ancienne cité médiévale.


Si autrefois ces coteaux étaient fameux par ses vins rouges, aujourd'hui, tous les cépages qui caractérisent les vins d'Alsace trouvent là un terrain et un climat de prédilection. La typicité des vins du Vorbourg vient de la conjonction heureuse entre les conditions naturelles d'un sol calcaire, une excellente exposition au soleil et le travail séculaire des hommes.

La ville de Rouffach se confond avec son vignoble au point d'apparaître indifférente au vacarme du monde moderne qui se déroule autour d'elle. Sous ses airs vieillots, elle renferme dans ses murs une histoire glorieuse où le vin est toujours présent. Ses résidences patriciennes et ses bâtisses de vignerons nous rappellent que Rouffach était, jadis, capitale du Haut Mundat et une des principales places de la viticulture alsacienne.

Nul n'ignore que le roi Dagobert était généreux comme un vin de qualité. Par contre personne ne sait si, en installant sa demeure au château d'Isenbourg, le monarque avait fait le rapprochement entre le nom antique de la cité: Rubiaquum (Les Eaux Rouges) et le délicieux nectar de la même couleur produit sur les coteaux environnants. Mais il est certain que ce vin faisait les délices des Rois Fainéants de l'époque mérovingienne ainsi que des nombreux couvents qui florissaient aux pieds des vignes. Les moines évangélisateurs, tout comme les princes, suivaient déjà la route du vin. Lorsqu'ils faisaient une halte sur le chemin de la spiritualité c'était, de toute évidence, pour mieux asseoir leur pouvoir temporel. "Les monastères s'installent rarement sur la steppe" commente un érudit rouffachois. Certains moines vont jusqu'à baptiser le vignoble de leur patronyme. Saint Landelin, un irlandais venu prêcher la bonne parole, se perpétue dans le clos qui porte son nom au sein du Grand Cru Vorbourg. A la croisées des chemins, sur la route mérovingienne, Rouffach est ardemment convoitée par les tenants du pouvoir temporel et intemporel qui, d'ailleurs, sont souvent les mêmes. Mais à Rouffach les responsabilités sont partagées entre l'évêque de Strasbourg et celui de Bâle. Le premier s'occupant de la spiritualité du peuple, le second des terres qui le font vivre. Une légende locale attribue ce partage à la grande âme du roi Dagobert. "Le roi des Francs avait un fils prénommé Sigebert, raconte Jean-Pierre Faust archiviste de la ville de Rouffach. Un jour, le jeune homme est mortellement blessé en poursuivant le sanglier dans la plaine d'Alsace. Que faire dans un tel cas? Le bon roi s'adresse à l'évêque de Strasbourg, Arbogast d'Aquitaine, bien connu pour sa sainteté exemplaire. L'intercession épiscopale provoque le miracle:
Sigebert recouvre la vie. L'événement offre une occasion sans pareil à Dagobert pour accomplir sa générosité légendaire. En signe de reconnaissance, le bon roi offre à l'évêque le bail de Rouffach et de ses environs". Pour ceux qui mettent en doute la véracité de l'imagination populaire, signalons qu'il existe, une charte datée de l'an 677 signé au château d'Isenbourg, par laquelle le roi des Francs donne trois fermes à l'église de Strasbourg. Le document ne dit pas comment le reste fut acquis; mais le fait est que le district de Rouffach figure, dans l'histoire, parmi les plus anciennes possessions en Haute Alsace de l'évêché strasbourgeois et le restera jusqu'à la Révolution. Pendant que Rouffach se développe et prospère à l'abri d'une double enceinte de murailles et sous la protection du château d'Isenbourg, ses crus délicats et subtils aboutissent sur les tables des évêques de Strasbourg et de Bâle; plus tard sur celles des Ducs de Lorraine et des Princes de Bavière.
A l'intérieur de la cité la vie s'organise autour du vin. Chacun, si pauvre soit-il, explique un document de 1627, fait un peu de vin. Beaucoup n'ont pas un grain de blé pour nourrir femme et enfants et échangent, aux gens de la Hardt, d'Autriche, de Suisse, leur vin pour se procurer froment, fruits, beurre et argent. Parmi les corporations apparues dès le moyen-âge, les deux confréries de vignerons se trouvent à la tête de l'organisation de la vie de la cité, raconte Jacques Ehrhart, historien invétéré de l'histoire de Rouffach. Elles règlent l'embauche, les conditions de travail et les salaires des ouvriers. En temps de guerre elles ont pour mission de défendre la ville dont les murs longent le vignoble afin de le protéger contre les dévastations sauvages. Les vendanges sont soumises à une réglementation sévère et toujours repoussées au plus tard de l'année. Le prix du vin est fixé par commun accord entre le bailli, le prévôt et les chefs des confréries vineuse. Toute tromperie ou falsification de vin, dont les rouffachois sont fiers, est puni sévèrement et sans égard par les magistrats de la ville. La vente est confiée à des employés assermentés, garants de la qualité du produit. Le souci du travail consciencieux et de la qualité du vin est une constante dans l'histoire de Rouffach. Dès 1600 apparaît, dans la cité, la formation d'apprenti vigneron et ce n'est pas un hasard si c'est à Rouffach qu'est fondé, en 1842, un Lycée Agricole où dès sa création, on y dispense un enseignement unique en Alsace, sur les métiers de la vigne et du vin. A la fin du XIXeme siècle, les historiens évoquent le vignoble autour du château d'Isenbourg comme un modèle d'exploitation viticole. Dans son livre sur l'Alsace et ses habitants, publié en 1889, Charles Grad nous raconte que lors de la plantation des vignes une grande attention préside au choix des cépages, sélectionnés en fonction de la nature du terrain et de son exposition au soleil, les diverses sortes de raisins ne sont jamais mélangées. Avant d'être pressés les grains de maturité imparfaite ou atteints de pourriture, sont séparés du reste de la vendange. En cave, une fermentation régulière est assurée par le maintien d'une température constante. A ces procédés traditionnels s'ajoutent, parfois, l'utilisation de moyen aussi audacieux que la technique de l'époque peut le permettre: "Dans la partie les vignes la plus exposée aux gelées printanière, explique Charles Grad, j'ai re-marqué la présence d'un thermomètre enregistreur relié à une sonnerie électrique placée dans la chambre à coucher du vigneron. A l’époque des gelées, dès que le froid atteint un certain degré, la sonnerie se déclenche et, aussitôt, qu'elle que soit l'heure, le propriétaire et son petit monde se retrouve dans le vignoble. Au moyen de matières préparées d'avance, qu'ils enflamment, créant des nuages artificiels dans les endroits les plus exposés". Plus d'une fois, assure le chroniqueur, cette précaution à permis de sauver la récolte.

Saint Urbain, patron des vignerons de Rouffach et empêcheur de geler en rond, n'aurait certainement pas désapprouvé ces méthodes païennes si les rouffachois ne l'avaient détrôner quelque 200 ans auparavant.
Ainsi, au long des siècles, les vignerons de Rouffach n'ont cessé d'oeuvrer pour améliorer la qualité de leurs vins. "Les Grands Crus, déclare André Roth, ingénieur viticole au Lycée Agricole, sont une réalité historique. L'appellation accordée aujourd'hui, n'est que la reconnaissance de la valeur qu'ils avaient déjà". Une valeur qui se perpétue au travers des vignerons de Rouffach qui, de père en fils, se sont donné comme objectif la quête de la perfection.

Victor CANALES

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