Vins de pierre

Steinert

A 13 km au sud de Colmar, le grand cru Steinert émerge d'un paysage viticole où les lieux-dits réputés rivalisent de qualité. Ses terrasses suivent les saillies calcaires de la pente escarpée jusqu'à la lisière de la forêt, composant un vaste jardin bigarré au dessus de la commune de Pfaffeheim.


Les vignes s'élèvent sur leurs robustes ceps vers la lumière du versant vosgien dont les rayons diaphanes se propagent, au-delà de la plaine d'Alsace et du Rhin, jusqu'à la Forêt Noire et les Alpes suisses.
Le Schauenberg, la montagne de la contemplation, qui accueille le Steinert sur ses flancs, est un haut lieu vibratoire, estiment les adeptes de l'énergie tellurique. Pour certains, son influence bénéfique se serait incarnée, autrefois, dans les faveurs que la vierge Marie accordait à ceux qui se rendaient en pèlerinage dans ce lieu. Pour d'autres, ces pratiques chrétiennes sont venues remplacer un rituel païen, au travers duquel les ancêtres sondaient les mystères de l'univers. L'autel des druides, présent au sommet de la colline, témoigne du caractère sacré du lieu, tout comme la pierre du diable qui accompagne la légende de la chapelle consacrée à la vierge du Schauenberg. On raconte, en effet, que, lors de la construction de cette chapelle, le diable se rebiffa et envoya une énorme roche contre l'édifice, mais la pierre se ramollit et resta encastrée dans les fondations. La griffe du malin y est toujours visible, mais d'aucuns prétendent que cette marque n'est que la trace laissée par l'affûtage de la serpette des vignerons, car ici, comme dans d'autres lieux sacrés du vignoble alsacien, la culture de la vigne précède les manifestations de la volonté divine.

Vins de pierre
Dès le Haut Moyen Age, le territoire de l'Obermundat, dont Pfaffenheim fait partie, constitue un des celliers de l'évêché de Strasbourg. La commune, dont le nom signifie demeure des moines, et le Steinert, qui évoque l'aspect pierreux du terrain, étaient prédestinés à devenir les fournisseurs privilégiés des communautés religieuses qui voyaient dans le pierre le symbole des forces mystérieuse et la veine par laquelle la terre communique sa substance organique à la plante. Les abbayes de Lautenbach, de Colmar ou de Bâle ; les chevaliers teutoniques de Rouffach ou les princes évêques de Strasbourg revendiquent dès le XIIe siècle des possessions dans le Steinert ou se font servir ses vins capiteux à leur table.

Il y a des vins de pierre qui expriment géologique du terroir, et des vins de fruit qui reproduisent les saveurs du raisin ; ceux du Steinert confirment la complexité de la terre en sublimant le arômes du cépage. Dans ses sols homogènes, secs et filtrants, la vigne doit sonder la roche mère, composée de calcaire oolithique, qui affleure par endroits en surface de la matrice argileuse recouverte d'éboulis pierreux. Pour la soutenir dans sa tâche, les vignerons ont fait appel à des porte-greffes hautement résistants au calcaire actif et à la sécheresse, qui optimisent l'équilibre hydrique de la plante et son assimilation des substances minérales. Trois cépages occupent les 39 hectares du grand cru : Le riesling, le tokay pinot gris et le gewurztraminer. Chacun souligne sa typicité "avec des traits commun de caractère quel que soit le vigneron qui les vinifie : la rondeur, les notes mentholées du calcaire et la puissance d'une belle maturité favorisée par l'exposition sud-est du terroir", observe Michael Moltes.

Belle envergure
La caractéristique des terroirs calcaires est d'engendrer des vins de belle envergure, veloutés, charnus et nerveux. Ceux du Steinert ne donnent pas toujours dans la dentelle, explique Hubert Fleischer: "Rebelles dans leur jeunesse, ils exigent une conservation de trois ou quatre années avant de donner toute leur mesure, mais, une fois adultes, ils évoluent de façon remarquable en affirmant les arômes du terroir". Les gewurztraminers, qui couvrent la plus grande partie du grand cru, présentent une belle concentration florale, des senteurs d'orange, de banane grillée et un côté gras et poivré qui s'affine avec les années. Les tokays pinots gris, qui demandent une grande maturité, acquièrent dans le Steinert beaucoup de puissance, de la rondeur soutenue par une acidité fine et une saveur particulière de fumé de bois et de menthe poivrée. Les rieslings, pour leur part, se caractérisent par leur aspect baroque, un bouquet très fleuri, et des saveurs d'agrumes. Ce sont des vins nerveux qui traduisent davantage la force du terroir que la marque du cépage et, en ce sens, ils s'apparentent aux riesling opulents d'un terroir comme le Mambourg . "Nos aïeux estimaient que Pfaffeheim n'était pas un vignoble de riesling, déclare à cet égard François Flesch, nous l'avons planté et cela donné des vins très typés qui, certes, n'ont pas la vivacité des Schoenenbourg, des Rosacker ou des Altenberg, mais qui honorent les diverses possibilités de notre vignoble".

Fidélité au terroir
Dans l'expression grand cru, il y a l'adjectif grand, aussi l'on se devait de privilégier les meilleurs des cépages sur le Steinert, précise François Runner : "Au début nous étions dans une situation d'explorateurs, nous procédions par tâtonnements ou en fonction d'une démarche empirique qui n'épargnait pas les doutes. Avec le recul nous avons appris à observer le comportement de la vigne et à nous adapter aux exigences du terroir." La notion de grand cru est désormais intégré par l'ensemble de vignerons de Pfaffenheim, pour lesquels Steinert est devenu un laboratoire de qualité. "Il nous a appris que pour faire un grand vin, dans tout le sens du terme, il n'y a pas de compromis possible. Il faut prendre des décisions pour maîtriser les rendements, soigner la vigne avec du bon sens et éliminer de la vinification toute pratique irrespectueuse de la pureté de la vendange", affirme Jean-Claude Rieflé. Un autre écueil à éviter était de considérer le grand cru comme un simple argument de vente, surenchérit Denis Heyberger, en soulignant la nécessité d'avoir le courage de déclasser les millésimes qui ne répondent pas aux critères de la plus haute qualité : "Dans le Steinert, les meilleures années sont les années de pluviosité moyenne avec une belle arrière-saison qui permet aux arômes de s'épanouir dans le raisin tout en maintenant l'acidité". Précisément, la facilité avec laquelle le grand cru permet d'atteindre la maturité des vendanges tardives impose de choisir judicieusement le moment de la vendange si l'on veut préserver la marque du terroir, argumente Michael Moltes : "Pendant la maturation, le sucre se forme et les minéraux du sol remontent vers la plante. Mais une fois que les feuilles jaunissent, il n'y a plus d'échange entre le cep et le fruit. Le sucre se concentre et tend à gommer la minéralité dans le gras et la puissance accumulés dans la pulpe".

La fidélité au terroir implique de faire des vins typiques plutôt que des vins qui plaisent, des vins de pierre plutôt que des vins de fruits, mais lorsque l'originalité devient un facteur de séduction, cela signifie que l'on marche dans la bonne direction, estiment les vignerons de Pfaffenheim. Les progrès réalisés dans leur vignoble se concrétisent dans les succès obtenus lors des dégustations, et l'intérêt accru du marché international pour le grand cru Steinert. La commune, qui figure dans le peloton de tête des communes vigneronnes d'Alsace par le nombre d'hectares de vigne cultivées, près de 300, assure l'avenir en consolidant la notoriété de ses vins.

Vous pouvez lire l'Avis du Connaisseur sur les vins issus de ce terroir.

Victor CANALES

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