Se ressourcer dans les vignes

Pfersigberg

La commune d’Eguisheim arbore son vignoble millénaire, face à la plaine du Rhin, tel un défi lancé à l’usure du temps qui passe. Si l’on en croit la légende, c’est à partir de cet endroit que les Romains répandirent la culture du vin en Alsace. Et même lorsque l’on est sceptique, les doutes se dissipent quand on découvre ses terroirs, tel le Pfersigberg.


Les tribus gauloises, jadis installées sur les terrasses qui accueillent les Grands Crus actuels, faisaient déjà la cueillette des raisins à partir des vignes vierges existantes dans la zone, aiment à raconter les gens d’Eguisheim. Ce n’étaient pas les grappes et le nectar que nous connaissons aujourd’hui, les Gaulois ne savaient pas faire du vin, mais c’était un signe annonciateur du destin viticole des lieux. C’est à Eguisheim, dit-on, que les Romains cultivèrent le premier cep de vigne alsacien. Il est vrai que ce sont eux qui apportèrent la nouvelle plante au bord du Rhin et ses techniques pour la faire fructifier, et il est probable qu’elle fructifia en plusieurs endroits simultanément à l’occupation des collines sous-vosgiennes. Il faudra, cependant, attendre l’essaimage du Christianisme pour que la civilisation du sud, avec ses grappes et ses pampres, s’enracine en pays rhénan au point de se confondre avec la nouvelle terre et son climat, et assimile dans ses transformations les traits de caractère du pays d’accueil.

Se ressourcer dans les vignes
Sans vin point de messe, disait-on autrefois. Le mystère de la liturgie en fait un élément indispensable. Et l’on comprend que les moines, jadis, se soient employés à déceler et prolonger les terroirs que leurs prédécesseurs dédiaient à la gloire de Bacchus. Terre de prédilection qui verra naître le Pape Léon IX (certains prétendent qu’il est né à Dabo, en Lorraine), Eguisheim entre dans l’histoire viticole par la donation de Charlemagne, en 810, d’une cour dimière avec des vignes au couvent d’Ebersmunster. Un siècle avant le comte Eberhard, neveu de Sainte-Odile, avait déjà fait construire son château auprès du vignoble, projetant ainsi la splendeur de sa puissante dynastie sur l’histoire de la région.

Les ruelles concentriques le long desquelles s’agglutinent les maisons à colombages, suivent aujourd’hui les traces des anciens remparts qui entouraient le château fort. Les façades bariolées, recouvertes de géraniums, évoquent un décor de Hansi. Sur le clocher de l’église, dont une partie date du XIIe siècle, on attend que la cigogne y vienne faire son nid. Mais, au-delà des aspects pittoresques, Eguisheim continue à se ressourcer dans les vignes qui ceinturent la cité de toutes parts et s’élancent à l’assaut des coteaux. « L’essentiel de l’activité tourne autour de la viticulture, nous sommes 34 vignerons-récoltants en plus de la coopérative. Les gens sont très attachés à leur terre et n’ont jamais voulu s’en séparer », déclare Jean-Luc Meyer, président du syndicat viticole local. Et quand on lui signale que, dans le Grand Cru Pfersigberg, tout comme dans le Eichberg l’autre grand cru de la commune, on trouve nombre de vignerons venus des alentours, il rétorque, avec humour, que cela ne veut pas dire que les parcelles aient été vendues, mais que dans le village il y avait beaucoup de filles à marier. Une situation d’autant plus méritoire que l’on prétend incarner le berceau de la viticulture alsacienne.

Maturité idéale
Situés à l’extrémité nord des champs de fractures de Rouffach, les terroirs d’Eguisheim forment des terrasses recouvertes de dépôts calcaires, d’argile et de grès vosgien. De prime abord les sols paraissent assez semblables, mais le relief et la couleur de la terre soulignent des combinaisons minérales différentes. L’importance des dépôts géologiques entraînés par les remaniements tectoniques au cours du temps, détermine la nature du terroir et la personnalité des vins. Dans le Pfersigberg, les conglomérats calcaires dominent sur l’argile alors que dans le Eichberg se produit l’inverse.

Il y un dénominateur commun dans les vins d’Eguisheim, c’est leur côté accueillant. Cette cordialité transparaît dans le Pfersigberg comme une émanation originelle. Ses vins sont chaleureux à l’image de ses vignerons, représentatifs de cette contrée méridionale de l’Alsace où la vigne sait tirer le meilleur parti de la générosité du climat. Orienté à l’est et au sud-est, le Grand Cru Pfersigberg, jouit de printemps précoces et d’automnes prolongés qui garantissent une longue période de végétation et des maturités idéales. Les raisins gonflés de suc synthétisent la complexité qui vient des profondeurs.

Puissance aromatique
On ne sait pas si le Pfersigberg a jamais fourni des pêches à la cité d’Eguisheim, comme le suggère son nom alémanique (Pfersigberg : colline des pêchers), mais la notoriété de ses vins n’a jamais failli depuis qu’au XVe siècle apparaît le terroir sous cette dénomination. Sur ses pentes tourmentées par la dépression du terrain, les vieilles vignes perpétuent la qualité, entre 250 et 330 mètres d’altitude, dans un comportement exemplaire. Deux catégories de cépages dominent les soixante-quinze hectares du Grand Cru, les Gewurztraminer et les Riesling. « Les premiers, qui occupent plus de 60% de la superficie, dénotent par leur puissance aromatique, pleins de finesse et de charme. Epicés, avec du corps, ils ont cette acidité souple qui fait saliver de plaisir », affirme Albert Hertz d’Eguisheim. Les Riesling, de leur côté, « expriment des saveurs délicates d’agrumes mûrs, de pamplemousses, d’oranges sanguines et une minéralité discrète qui, en gastronomie, rehausse les produits de la mer», ajoute son collègue Armand Baur.

Les vignerons d’Eguisheim aiment souligner l’indispensable communion entre le cépage et le terroir. Le cépage est le véhicule qui synthétise les qualités du terroir, et il n’y a pas lieu de se demander si l’un doit primer par rapport à l’autre, comme cela se fait dans certains Grands Crus. Ce qui compte, c’est de parvenir à une entente réciproque, estiment-ils. « Dans les Pfersigberg, les Riesling et les Gewurztraminer conservent leur empreinte génétique tout en intégrant dans leur identité la marque ineffable du terroir. Cela se vérifie d’autant plus que l’on travaille avec des cépages à très forte personnalité. En présence de cépages plus influençables, comme le Tokay Pinot Gris, la relation est plus versatile », précise Christian Beyer.

L’esprit et le corps
Le vin se fait dans la vigne, dans la cave et aussi dans la tête du vigneron, raconte Hervé Gaschy. « Il faut un état d’esprit pour concevoir un Grand Cru. Une volonté, non pas de poursuivre la perfection académique, mais d’atteindre une harmonie dans laquelle arômes, acidité et minéral se combinent avec la matière du fruit et les aspirations mentales du vigneron pour donner naissance à un produit original ». Il faut aussi de la constance, c’est-à-dire de la mémoire, ajoute son collègue Jean-Luc Freudenreich « pour assurer chaque année l’homogénéité et la qualité qu’exige un grand vin ».

« Un Grand Cru raconte une histoire à qui sait l’interroger », dit en conclusion Jean-Luc Meyer : « Quand on lui pose des questions, il donne des réponses qui se traduisent par des nouvelles découvertes ». En ce sens le Pfersigberg n’a pas fini de nous surprendre.

Vous pouvez également lire L'avis du connaisseur sur les vins issus de ce terroir.

Victor CANALES

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