Hommes intrépides

Frankstein

Le grand cru Frankstein s'étend sur plus de 56 ha le long des flans supérieurs des sept collines qui surplombent la commune bas-rhinoise de Dambach-la-Ville. De ses pentes granitiques jaillissent des rieslings, gewurztraminers et tokays pinots gris dont la finesse aromatique enchante les amoureux du bon goût.


Situé entre 220 et 310 mètres d'altitude, le Frankstein établi une continuité entre la paisible cité agglomérée autour de l'église à ses pieds et la ruine du château de Berstein fièrement campée sur le front de l'arête qui sépare le piémont du massif vosgien. Autrefois, la trame de l'histoire se nouait ici autour du château, de ses propriétaires et de l'intérêt manifesté pour le vignoble. Des documents de 1292 indiquent que le couvent Sainte-Agnès de Strasbourg possédait des vignes "Am Frankenstein". Mais il n'était pas le seul. Dès le XII siècle, le chapitre de la cathédrale de Strasbourg établit son siège administratif dans la forteresse et les différents évêques de l'époque guerroyaient sans trêve pour conserver le site stratégique et le vignoble. En 1328 Berthol de Bucket, rival des comtes du Wurtemberg dans la lutte pour s'accaparer les meilleurs crus du pays, fortifia le village de "Tambach" et le promut au rang de ville. "A l'époque les vins de Dambach-La-Ville bénéficient d'une réputation internationale, raconte Yvette Beck-Hartweg, jeune et fervente vigneronne férue d'histoire et de géologie. Au XIVe siècle, la ville possède son règlement sur le respect de la qualité et l'organisation de la vente du vin."

Hommes intrépides
Cependant, le fruit des vignes du Seigneur était alors davantage utilisé à asseoir la domination des puissants qu'à améliorer les conditions d'existence de la population laborieuse. Aussi, lorsqu'en 1493 éclata le premier épisode de ce qui allait devenir plus tard la guerre des Rustauds, une cinquantaine d'habitants de la cité rejoignit Jean Hulmann de Sélestat dans la forêt de l'Ungersberg, afin préparer la révolte du "Bunschuch" - nom de la chaussure à lacets portée par les paysans - destinée à exiger les mêmes droits, pour leur commune, que ceux dont jouissaient les villes libres. Les révoltés furent massacrés sans pitié, mais dans le sillon qui venait de s'ouvrir la semence de la dignité germa et se transmit à travers les âges, tel un chant de la terre venant fertiliser l'esprit des hommes intrépides.

De ces temps impitoyables et glorieux à la fois, la localité de Dambach-La-Ville conserve l'empreinte dans son architecture médiévale dont les trois portes des anciens remparts sont l'exemple le plus expressif. Mais au-delà de ces vestiges, il est une marque plus discrète et plus significative qui manifeste sa persistance dans la cordialité des hommes : c'est l'aspiration profonde à être en harmonie avec l'environnement, comme doit l'être le terroir avec la vigne et la vigne avec ceux qui la cultivent. La recherche de cet idéal est si éclatante qu'elle parait s'incruster jusque dans les cristaux du granit qui soutient les édifices de la cité, dans le coeur duquel les vignerons ont creusé leurs caves et qui constitue l'âme du Frankstein dont le nom signifie "pierre franche".

Sensibilité de la nature
Ici plus qu'ailleurs, il existe une étroite relation entre les vertus du terroir et la persévérance créatrice des vignerons. "Nous sommes des artisans, bien que l'utilisation de ce terme nous ait été refusée. Notre travail repose sur la qualité de la matière que le terroir nous donne, le savoir-faire transmis par nos prédécesseurs et l'inspiration indispensable pour maîtriser la sensibilité de la nature, puisqu'aucune année n'est tout à fait semblable à une autre", déclare Martial Dirringer, président du syndicat viticole local.

Dans le Frankstein, la géologie définit les précieux accords qui donnent l'intensité et l'intonation des notes exprimées ensuite par le vin. Les sols, légers et pauvres, obligent la vigne à enfouir ses racines à travers les fissures de la roche mère à la recherche ses éléments nutritifs. De ce voyage aux profondeurs de la terre, le fruit s'enrichit d'une symphonie d'arômes que les vignerons harmonisent dans la quiétude de leurs caves.

"Le caractère de nos vins se démarque nettement lors des dégustations de millésimes, indique Gilbert Beck. Les arènes issues du granit à deux micas qui couvrent le terroir apportent la finesse ; l'exposition est et sud-est amène la lumière et la chaleur nécessaire au développement régulier des raisins, et la légèreté du sol limite les rendements facilitant l'accumulation de substances dans la pulpe du fruit. Cet ensemble d'éléments donne aux vins du Frankstein une clarté de structure et une complexité aromatique sans pareil."

Promesse de bonheur
Les qualités naturelles transmises par le terroir sont une promesse de bonheur entre les mains du vigneron. Pour qu'elle s'accomplisse, il faut laisser au temps la possibilité de parfaire l'ouvrage, précise Pierre Arnold. "Comme tous les grands vins, ceux du Frankstein exigent un vieillissement de plusieurs années avant d'exprimer dans toute leur plénitude l'originalité du terroir. Dans leur jeunesse, ils restent dans les arômes primaires, tellement que l'on a l'impression d'avoir des fruits en bouche, en particulier pour les rieslings. Les gewurztraminers exhalent un bouquet floral derrière lequel se profile une personnalité pleine d'entrain et les tokays pinots gris recèlent un agréable musqué qui annonce une belle noblesse".

Dans le souci de favoriser l'épanouissement personnel de leurs vins, la quasi-totalité des vignerons de Dambach-La-Ville a choisit de les élever dans des fûts en bois à la manière de leurs ancêtres. "Le bois permet au vin de se faire lentement, de se travailler, en créant une osmose avec la matière vivante de la cuve et son environnement, explique Claude Hauler. La vinification en bois élargit l'expression aromatique et confirme sa persistance dans le temps." On retrouve ici la démarche du créateur qui affine son œuvre sans précipitation, avec l'ambition de la rendre unique. "Nous ne faisons pas de vins technologiques, adaptés aux goûts du moment, mais des produits qui portent notre signature comme un tableau porte la signature de l'artiste qui l'a peint, souligne à cet égard Vincent Schaeffer-Woerly.

Vision d'avenir
La grandeur des hommes, dit-on, réside dans leur désir d'améliorer ce qui existe. Les vignerons de Dambach ne sont pas des idéalistes éblouis par l'amour de l'art. Les contraintes économiques pèsent sur leurs épaules de simples mortels. Ils n'en font pas abstraction, seulement ils s'efforcent d'avoir une vision au-delà du quotidien, persuadés, comme le souligne André Herrbach, que "les vignerons accomplissent une mission éducative en pérennisant la formidable contribution de la culture de la vigne à notre civilisation. Un jour, quand on aura franchi l'étape de confusion actuelle qui présente le vin comme un produit nocif, les gens voudront connaître comment poussent les vignes et les vignerons ressentiront alors la joie d'avoir été utiles".

Dambach-La-Ville avec ses 500 ha de vignoble, le plus important d'Alsace, s'appellera peut-être alors Dambach-Les-Vignes. Mais les vignerons de la cité n'auront pas attendu ces changements pour faire partager le plaisir de leur métier. Chaque rencontre avec leurs clients est une occasion pour les initier à la personnalité et à l'élaboration de leurs vins. La confrérie des Bienheureux du Frankstein, créée en 1990, prolonge ce travail pédagogique, en accueillant l'ensemble des professionnels de la viticulture locale, mais aussi tous ceux pour qui art de vivre signifie bon goût et convivialité.

Vous pouvez lire l'Avis du Connaisseur sur les vins issus de ce terroir.

Victor CANALES

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