La Vallée aux Trésors

Altenberg de Bergbieten

L’Altenberg de Bergbieten a été l’un des premiers terroirs classés en grand cru. Ses vignerons vivent au cœur d’une vallée au charme tranquille. Ils sont droits, souvent talentueux et toujours sans prétention.


Du sommet du Scharrach, une colline-promontoire recouverte de pins méditerranéens courbés par les vents, la basse vallée de la Mossig évoque un jardin strié de routes étroites. Les champs de terre grasse et fertile, les vergers et les vignes qui s’étirent sur les coteaux forment un damier aux cases asymétriques. Dans les anciens villages fortifiés, l’architecture médiévale témoigne d’une opulence qui date de la culotte du roi Dagobert, l’époque où la petite rivière Mossig marquait un carrefour de routes d’intérêt commercial et stratégique. Dans cette contrée encaissée, aux villages recroquevillés autour d’églises romanes, l’Histoire est une longue suite de secrets ensevelis, comme si la présence toute proche de Strasbourg la Capitale jetait un voile de brouillard sur les richesses ignorées.

Au Moyen-Age, Childebert II fit construire à Kirchheim un imposant palais de Roi Fainéant, aujourd’hui disparu, dont les ruines, uniques dans la région, étaient encore visibles au XVe siècle. Plongé dans une aura de mystères, cet étrange haut lieu mérovingien, puis carolingien a attisé bien des légendes. L’une d’elles raconte que Dagobert II aurait rêvé de bâtir à l’entrée de la vallée une nouvelle ville de Troie inspirée du modèle grec : Tronia, cité mythique au coeur des treilles, théâtre d’intrigues, de régicides imaginaires sur fond de décadences …et de civilisation du vin. En ces temps reculés, le vignoble avait déjà fait son apparition. Le lieu-dit « Altenberg » signifie d’ailleurs que, de mémoire d’homme, on a toujours cultivé des vignes sur les collines baptisées de ce nom. Celui de Bergbieten est cité dans les archives dès le XIe siècle. Il appartient, tour à tour, à des congrégations religieuses et à l’évêché de Strasbourg avant d’être restitué en 1789 aux vignerons.

Depuis, pour les viticulteurs de la basse vallée de la Mossig le travail de la terre réserve quelques heureuses surprises. La fortune frappa un premier coup le 13 mars 1895, un jour où Emile Huber, le forgeron de Traenheim, retournait le sol de ses arpents de vignes. Soudain, il heurta quelque chose de dur. Ce n’était pas une grenade, mais deux vases en terre cuite qui contenaient un trésor : 7 000 pièces d’argent ! Elles dataient de la seconde moitié du XIIIe siècle et portaient sur leur revers une église, un ange, un agneau ou un aigle. Cette extraordinaire collection de pfennig d’argent dont l’origine reste une énigme insoluble fut rachetée par des musées allemands. Elle est aujourd’hui exposée à Berlin. Quelques années plus tard, un vigneron de l’Altenberg tomba sur une urne pleine à craquer. La boîte de métal contenait des sesterces à l’effigie de César, empereur romain.

Puis en 1977, la chance souriait encore, mais cette fois elle ne devait rien au hasard. L’Altenberg était classé en Appellation d’Origine Contrôlée « Alsace Gand Cru ».

On découvrit alors que le véritable trésor de la vallée de la Mossig n’était pas enfoui à dix pieds sous terre. C’était la terre elle-même, ou plutôt l’un de ses joyaux : l’Altenberg de Bergbieten.

Cette consécration viticole parachevait dix années de travail orchestré par des pionniers qui avaient su intégrer très tôt la notion de terroir dans leur démarche.

Moucheté de fleurs bleues au printemps, le coteau, en forme de demi amphithéâtre, est en été le paradis des lézards qui se prélassent sur des pierres surchauffées. Son exposition au sud met le Riesling (40 % de la production) et le Gewurz (30 %) à l’honneur sur 29 hectares.
« Ce sont des vins qui se font lentement. Il faut attendre au minimum deux ans avant qu’ils ne commencent à s’exprimer » explique Frédéric Mochel, le vigneron le plus réputé de l’Altenberg.

Au total, le Grand Cru de Bergbieten est exploité par quatre vignerons et une coopérative. Paradoxe : la plupart d’entre eux sont de Traenheim et non de Bergbieten. Plus dynamiques que leurs voisins, ils ont soufflé les vignes d’à côté après la guerre en profitant de querelles et de rivalités internes.

« On s’est réveillé un peu tard » reconnaît Roland Schmitt, un viticulteur de Bergbieten qui appartient à la nouvelle génération. Il a obtenu ses diplômes avant de se lancer dans l’exploitation et d’acquérir l’expérience de la vinification.

« Le Grand Cru prouve qu’on a et qu’on peut faire de très belles choses. C’est un coup de pouce qui assure une clientèle haut de gamme et pousse à améliorer la qualité » dit-il.

« Nous avons été l’un des premiers terroirs classés. C’est le résultat d’une motivation très forte » ajoute Frédéric Mochel qui est aussi président du syndicat viticole local. Petit, le regard vif et sombre, il s’exprime avec la prudence des hommes de la terre. C’est un artisan qui cisèle avec patience ses vins et en parle avec la modestie et la précision du professionnel attentif au bel ouvrage. Chez lui, avant les vendanges, on tue encore le cochon, transformé en terrines maisons et en saucisses fumées. Au dessert, la tarte flambée se sert nappée de quetsches ou de pommes, et le munster est dégusté avec de la confiture et une bonne eau-de-vie.

Ce particularisme gastronomique puise son origine dans l’époque récente où les vignerons étaient aussi fermiers. Ici, lors des graves crises traversées par le vignoble, les viticulteurs se sont toujours servi de la polyculture comme d’une planche de salut.

« C’est la raison pour laquelle les anciens se sont moins battus qu’ailleurs, où il n’y avait pas de choix possible » précise Roland Schmitt.

Sous-estimés par certains, oubliés par d’autres, les vignerons « nordistes » du vignoble souffrent, malgré la qualité de leurs produits, d’une absence cruelle d’image de marque. L’absence de véritables structures touristiques n’y est pas étrangère. Aimanté par Strasbourg, distante de 25 km, la vallée tire très peu d’avantages de sa position privilégiée. Dans les restaurants de la cité européenne, seuls de rares sommeliers mettent en exergue les vins des « Jardins de Strasbourg ».

Subtils, élégants, floraux et bien charpentés, les Gewurz mais aussi les Riesling des vignobles « nordistes » font, pourtant, partie du must de la région. Lancée par l’attribution de l’appellation « Grand Cru », leur inévitable réhabilitation passe aussi par une redécouverte d’une région à beauté intimiste, sans fards ni ornements.

Victor CANALES

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