L'élégance et le charme

Sonnenglanz

Les rayons de soleil qui dardent la colline, en bordure du village de Beblenheim, viennent s'éclater sur les pentes mamo-calcaires recouvertes de cépages nobles. Le mot «Sonnenglanz», éclat de soleil en allemand, évoque dans ses sonorités la perfection d'un terroir où l'homme s'est toujours évertué à produire des grands vins. «Lorsque la nature met entre les mains du vigneron tout ce qu'il faut pour produire des vins superbes, on ne peut pas la décevoir», déclare Jean-Paul Hartweg, propriétaire-viticulteur dont les parcelles coiffent le sommet de la colline.


Le respect du terroir, les soins prodigués à la vigne et le perfectionnement constant de l'art de la vinification assurent aux vins du Sonnenglanz une parfaite harmonie. Ses gewurztraminer et tokay pinot gris, merveilleusement dorés et charmeurs, sont venus rejoindre la famille des «Grands Crus» en 1983.

Reconnaissance un peu tardive, si l'on considère que le Sonnenglanz a été un des premiers terroirs d'Alsace à bénéficier d'une délimitation précise basée sur décision judiciaire. C'était en 1935 : à la requête du syndicat viticole de Beblenheim, le tribunal d'instances de Colmar condamnait un viticulteur pour avoir vendu 15 hl de vin sous la dénomination Sonnenglanz, alors qu'il provenait d'un autre lieu-dit ! Mais la décision du tribunal ne se bornait pas à punir le fraudeur, elle délimitait également l'aire de production donnant droit à l'appellation Sonnenglanz et fixait les conditions d'encépagement, pour qu'à l'avenir il n'y eut plus d'équivoque possible. Ce jugement, tout à l'honneur des viticulteurs épris de qualité et d'authenticité, consacrait officiellement les vertus du prestigieux terroir, bien avant l'existence de la notion d'appellation d'origine contrôlée.

L'amour de la vigne est une constante de l'histoire de Beblenheim. C'est à un de ses citoyens, Chrétien Oberlin, que revient la gloire d'avoir sauvé, grâce à ses recherches minutieuses, le vignoble alsacien de la destruction par le philoxéra. La recherche de la qualité fait partie de l'héritage viticole ancestral des vignerons de la contrée. «Depuis toujours, ils ont été habitués à produire des vins de qualité, explique Marcel Kraemer, ancien directeur d'école et gardien de la mémoire collective du village. Dès le XVIe siècle, des ordonnances précisaient les sortes de plants à cultiver. Les gardes-champêtres étaient chargés de la surveillance et de l'arrachage des plants non-conformes. Les récidivistes se voyaient frappés d'une forte amende».

La petite commune haut-rhinoise est restée fidèle à cet esprit de rigueur imposé pendant plus de quatre siècles par ses anciens maîtres, les ducs de Wurtemberg. «Ceux-ci pratiquaient une politique stricte à l'égard de la vigne, mais libérale à l'égard de leurs administrés», raconte Marcel Kraemer. Les gens de Beblenheim, que l'on surnommait les «Bawlemer Schnacka», les escargots, sans doute à cause de leur esprit obstiné et laborieux, s'accomodaient fort bien d'une tutelle exercée avec discernement depuis Stuttgart. «Dans la seigneurie de Riquewihr, dont Beblenheim faisait partie, les sujets n'étaient pas opprimés et ne vivaient pas dans la misère, comme on la dépeint dans d'autres régions de France, leurs vignobles leur donnaient toujours une certaine aisance», écrit le docteur Alfred Birckel, dans son histoire de la localité.

Les maisons traditionnelles, amoureusement entretenues et fleuries, qui forment le cœur du village, s'obstinent à reproduire le souvenir des plus belles époques du vignoble. Sur les arcs en grès rose des portes cochères, des dates lointaines: 1553, 1566, 1623, 1723, évoquent des temps où viticulture était synonyme de prospérité.

Il n'y a pas de fortune à l'abri des convoitises. Celle des Wurtembergeois ne manqua pas de susciter bien des jalousies au cours des siècles. Particulièrement parmi les prélats qui sous prétexte de sauver les âmes de l'hérésie de la Réforme, portaient un intérêt évident aux vignobles de la seigneurie. Certains évêques, plus militaires que prêtres, rapporte la chronique locale, après avoir pillé Riquewihr et les villages environnants, s'en retournaient à Strasbourg suivis d'une longue colonne de voitures chargées de fûts remplis du meilleur vin.

De tels châtiments, infligés au nom du Tout-puissant, amenaient le peuple à préférer la justice terrestre et à s'en remettre aux croyances de leurs seigneurs plutôt qu'à celles des représentants de la puissance divine.
Les efforts de Louis XIV pour imposer le catholicisme dans une Alsace devenue française, n'auront pas plus de succès chez une population acquise aux idées protestantes. Les vignerons de la seigneurie étaient peu enclins à s'acquitter d'impôts qui, à leurs yeux, servaient uniquement à enrichir des chanoines et des moines dont ils n'avaient aucun besoin, remarque le docteur Birckel.
Même le souffle de la révolution ne réussit pas à ébranler les laborieux «Bawlemer Schnacka». Le jour dédié à «L'Etre suprême», ils continuaient à répandre le fumier dans leurs vignes, malgré les peines sévères infligées par les officiers du «Temple de la Raison». Ils attendaient, tout au plus, que le nouveau régime protège leur vignoble par la défense de planter des vignes dans la plaine et la fermeture de quelques unes des trop nombreuses brasseries de bière.

En fait, face à la concurrence de «la France de l'intérieur», grosse productrice de vins, les vignerons de Beblenheim, comme tous leurs confrères alsaciens, durent lutter d'arrache-pied pour se faire une place dans le monde moderne.
Les habitants de Beblenheim, grâce à leur pragmatisme, surent se donner les moyens de surmonter les mauvaises conjonctures. «De tous temps, ils ont tiré le meilleur parti de leur territoire fécond», indique Jean-Paul Mauler, président du syndicat viticole local. Malgré la prédominance de la vigne, ils ne dédaignaient pas la pratique de la polyculture sur les terres fertiles empiétant sur la plaine : blé, orge, betteraves et pommes de terre y étaient entre autres cultivés de sorte que, les années défavorables pour la viticulture, les gens avaient non seulement de quoi subvenir à leurs besoins alimentaires, mais aussi la possibilité de rentrer quelque argent frais par la vente des excédents agricoles.

Il y avait autour de 1900 un millier d'habitants à Beblenheim, disposant de 221 hectares de terres arables dont 190 plantés de vignes. Aujourd'hui, ces chiffres ont un peu varié : la commune compte quelques 940 citoyens et 162 hectares de vignoble. La viticulture demeure la principale activité. La plus grande partie des récoltes aboutit à la cave coopérative installée dans l'ancien château noble. En marge de celle-ci, une douzaine de propriétaires-viticulteurs perpétuent les gestes et les pratiques séculaires, en suivant la production de leurs vins depuis la vigne jusqu'au consommateur. Quelle que soit la difficulté de leur tâche, dans un monde en proie à l'automatisation à outrance, ils savent qu'ils peuvent compter sur une clientèle fidèle, attachée à des produits de qualité.

Le touriste curieux qui sillonne la route du vin, serait bien avisé de faire un petit détour par Beblenheim. Loin de se voir dérouté par une multitude de boutiques et de caves de dégustation, il découvrirait le charme paisible d'un village vigneron, accroché aux premières pentes de son grand cru : le Sonnenglanz, dont les vins recèlent une parfaite connivence entre l'homme et la matière.

L'élégance et le charme.
Le Sonnenglanz s'étend sur 32,8 hectares essentiellement plantés en tokay pinot gris et gewurztraminer, entre 220 et 270 mètres d'altitude. Son orientation Sud-Sud-Est lui confère un micro-climat très favorable à la production de grands vins. La pluviométrie y est inférieure à 600 mm par an. Son substrat géologique est constitué de marnes et de conglomérats appartenant à l'oligocène, sur lesquels ont évolué des sols bruns calcaires assez lourds mais bien structurés, La qualité du terroir, associée à son exposition, donnent des vins d'une belle intensité dorée. Discrets dans leur prime jeunesse, ils se révèlent ensuite d'une remarquable élégance aromatique. Contrairement à d'autres grands crus, les vins du Sonnenglanz n'ont pas de goût particulier, minéral ou fossile, lié au terroir. En bouche, ils s'imposent par une attaque chaleureuse, bien équilibrée et d'une grande persistance. Ces vins charmeurs demandent à être consommés entre 2 et 6 ans.

Un dévouement exemplaire.
Certaines personnes de Beblenheim se souviennent encore des petits récipients, contenant de très jeunes vignes issues de la semence de raisin, rangés sur les rebords de fenêtre de la villa de Chrétien Oberlin. Ce brillant ingénieur des ponts et chaussées, fils d'un viticulteur aisé de la localité, voua une grande partie de sa vie à la lutte contre les maladie de la vigne. Le vignoble d'Alsace lui doit sa survie.

Alors que le philoxera s'acharnait à décimer les parcelles, Oberlin chercha le salut dans le croisement de plants indigènes avec des plants américains. Mais comment se procurer ces derniers ? Le gouvernement allemand de l'époque défendait l'importation de vignes étrangères, justement à cause des maladies. Chrétien Oberlin dû se résoudre à les cultiver à partir de la semence des raisins. L'expérience dura près de dix ans. Mais après beaucoup de patience et de soins méticuleux, la réussite était là : le greffage avec les plants américains cultivés permettait à la vigne de résister à l'épidémie de philoxéra. Le vignoble alsacien était sauvé de la catastrophe. Chrétien Oberlin inventa aussi un système consistant à monter les vignes sur fils de fer. Avant cette trouvaille, elles étaient attachées à des échalas libres dont la remise en état entraînait, chaque année, un travail assez pénible pour le vigneron. La méthode Oberlin est aujourd'hui pratiquée dans toute l'Alsace. L'ingénieur de Beblenheim s'était encore fixé un autre but : créer un institut viticole expérimental.La Ville de Colmar lui donna la possibilité de réaliser son rêve.

Vous pouvez lire l'Avis du Connaisseur sur les vins issus de ce terroir.

Victor CANALES

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