Les vertus du microclimat

Sommerberg

A quelques kilomètres de Colmar, entre Ammerschwihr et Turckheim, le grand cru Sommerberg, donne naissance à des vins de grande ligne. La route départementale n°11 qui mène à la station climatique des Trois-Epis, serpente au milieu d'un paysage de vignes striées aux teintes cuivre et or. Elle épouse les contours irréguliers des parcelles adossées aux collines sous-vosgiennes jusqu'à l'entrée de Niedermorschwihr, petite localité accroupie auprès de son grand cru : le Sommerberg.


L'imposante colline projette sa géométrie lyrique par delà le village, telle une trame servant à capter la lumière dans la nette précision de ses lignes. Le microclimat bénéfique qui règne dans la zone a fait de Trois-Epis un centre de villégiature privilégié, et du Sommerberg, une source de riesling incomparable. D'aucuns prétendent que le sous-sol émet des radiations salutaires depuis que la vierge serait apparue à un forgeron de Niedermorschwihr en l'an 1491. Selon le légende, la Sainte Mère s'est manifestée un glaçon dans une main et trois Épis de blé dans l'autre, symbolisant respectivement, le malheur qui allait fondre sur les villageois s'ils persistaient dans leur comportement impie, et la bénédiction que le ciel leur resservait s'ils parvenaient à s'amender.

Un site idéal
Il ne fait aucun doute que l'avertissement eu son effet. A l'endroit de l'apparition on construisit une chapelle pour recueillir les prières des pèlerins qui, jusqu'au milieu du XIXe siècle, accouraient des quatre coins du pays motivés par la quête de miracles et peut-être, aussi, par les bons vins des caves de Niedermorschwihr. D'autres visiteurs, moins pieux, mais bien plus illustres viendront par la suite jouir des bienfaits du climat local et de la vigne: comme la reine Wilhelmine de Hollande, ou le général Castelneau, l'une cherchant un site idéal de villégiature, l'autre le repos mérité du guerrier.

Là où il y a du bon vin, les miracles sont fréquents. "Mais toutes les fontaines miraculeuses ne distillent pas le breuvage de Bacchus", fait observer l'ancien directeur de l'École communale, Henri Schoeffer, soucieux d'éviter l'amalgame: "Il ne faut pas voir un lien de cause à effet, remarque-t-il, la légende des Trois-Epis fait partie de notre patrimoine culturel, au même titre que la qualité des vins de nos coteaux, ou que le clocher vrillé du XIIe siècle, unique en Alsace, qui surmonte l'église du village..." On ignore si les bâtisseurs de ce clocher avaient expressément cherché originalité en faisant tourner les arêtes de l'édifice comme sur une vrille, ou si leur travail fut le résultat de l'influence des effluves émanant des caves. Mais bien avant que la Vierge ne fasse son apparition dans la zone de Niedermorschwir, ses serviteurs sur terre avaient découvert les qualités du granit, éclaté au cours des aires géologiques sur les pentes du Sommerberg, et les vertus de son microclimat. Quand le nom de "Morswilre jouxta Turenckeim", apparaît pour la première fois, en 1148, le lieu appartient alors à l'abbaye de Moutiers-Granval. Les moines de l'époque, hommes de foi et de patiente, cherchaient la récompense suprême dans la simplicité des heures de labeur. Leur ardeur à vaincre la nature hostile était une façon de la rendre plus féconde.

Aujourd'hui, des mains de travailleurs silencieux et tenaces, continuent à tisser, sur les pentes abruptes du Sommerberg, les liens qui unissent la vigne à l'intimité de l'air et de la terre pour donner naissance à un vin d'exception. "Il n'y a de richesse que du terroir", déclare Claude Weinzorn, jeune vigneron-récoltant, fervent défenseur du grand cru. Certes, mais le terroir laissé à lui-même n'est qu'une montagne en friche. La grandeur de quelques propriétaires-viticulteurs de Niedermorschwihr a été de continuer à croire en ce que les autres ne croyaient plus. Alors que le vignoble s'étendaient vers la plaine sous l'effet de la production quantitative et de la recherche de la facilité, des hommes tels que Gérard Weinzorn, Albert Boexler ou Marcel Mullenbach, s'obstinaient à mettre en valeur les pentes délaissées du Sommerberg, luttant contre la déclivité du terrain, construisant des terrasses en remontant la terre à dos d'homme, adaptant les cépages aux sols secs, pauvres et caillouteux, mêlant leur sueur à celle des générations qui les avaient précédés sur le lieu-dit. Aujourd'hui, leurs fils poursuivent la tâche en y apportant une énergie nouvelle.

" La relation du vigneron avec son terroir est une guerre d'amour", dit à cet égard Claude Weinzorn, cherchant à exprimer l'inexprimable, cette "sensation de plénitude" Évoquée par son collègue, Jean Marc Mullenbach, président du syndicat viticole local, ressentie au contact de la terre endurcie sur laquelle il devient difficile de se tenir debout par temps de grande chaleur; cette "sensation de joie profonde de savoir que les peines seront récompensées par la récolte d'un vin inimitable".

Vins énergiques
"Des riesling, on peut en faire dans d'autres terroirs et dans d'autres endroits du monde, mais pas de Sommerberg ", explique Claude Groell, ancien sommelier "Aux Armes de France" à Ammerschwihr. Il y a une énigme dans de ce terroir. Alors que l'on s'attendrait à avoir des vins aimables, ronds, avec du gras, assez explosifs au niveau des arômes, tels qu'on peut les trouver dans le Brand de Turckheim, ou le Schlossberg de Kientzheim et Kaysersberg, de même parenté géologique, les rieslings du Sommerberg se situent, plutôt dans la grande lignée de riesling vifs et énergiques produits dans la région de Ribeauvillé et Hunawihr. Dans leur prime jeunesse ils peuvent paraître agressifs, surtout s’ils sont vinifiés en sec. C'est en fait l'expression d'une forte personnalité qui demande 4 ou 5 ans pour dévoiler toute sa complexité. Sans sous-estimer l'importance des richesses minérales du terroir, je crois que, dans le Sommerberg, c'est le microclimat qui fait la différence", conclut Claude Groell.

La "colline de l'été" (Sommer: été, berg: colline), bien que méconnue par bon nombre de sommeliers, regagne peu à peu la réputation dont elle jouissait jadis, quand les nobles de Habsbourg et de Hohlandsberg se partageaient la propriété de Niedermorschwih. Au cours des siècles, elle a excité la convoitise de connaisseurs aussi émérites que l'abbaye de Paris, le chapitre de Saint Dié, l'Évêque de Bâle, le couvent de Marbach ou les Chevaliers de Malte. Ces derniers ont légué à la localité l'emblème de ses armoiries: une tête de mauresque, ornée de 26 perles sur fond pourpre, vestige insolite du temps des croisades, devenu le symbole de l'esprit de tolérance des habitants de Nidermorschwihr.

Transmettre la passion
Les vertus du Sommerberg sont aujourd'hui guettées par la voracité d'autres lions empressés de rentabiliser l'appellation "grand cru". Il ne reste plus dans la localité qu'une demi douzaine de vignerons récoltants. Beaucoup de gens possèdent des petites parcelles qu'ils conservent comme un coin de jardin sentimental, d'autres vendent leur récolte à la coopérative et sont loin des préoccupations de leurs collègues vignerons qui, malgré leur petit nombre, font de la qualité leur emblème. "Notre démarche consiste à faire des vins typiques, ayant le caractère du terroir qui les fait naître, le goût traditionnel des Alsaces, sans aucun des défauts que l'on pouvait trouver autrefois, dus aux rendements trop importants, ou a des pratiques de vinification mal adaptées, comme la fermentation en fûts de bois, l'excès de souffre, ou le non débourbage des cuves," souligne Etienne Stenz vigneron récoltant à Wetholsheim.

Occupés à enfanter une œuvre originale, les vignerons-récoltants redoutent parfois de devoir se transformer en vendeurs de leur créations, comme si, quelque part, il fallait rester humble pour pouvoir continuer à créer : "Rien ne se fait pour la vente, le vin part tout seul", remarque Isabelle Boexler, perplexe devant le comportement "du père si peu intéressé par l'aspect commercialisation". "C'est un éternel insatisfait, ajoute le jeune frère Jean. Son regard s'illumine, lorsqu'il ouvre une bouteille et qu'il découvre qu'elle est parfaite, étonné d'en être le créateur". Aucun artiste n'aime expliquer son œuvre, c'est pourquoi les vignerons préfèrent faire déguster leur vins que de parler d'eux: "Je ne vends pas du vin, je transmets de la passion", s'exclame Claude Weinzorn. Une passion que les vignerons récoltants de Niedermorschwir, aiment faire partager à tous ceux qui savent apprécier les vins de qualité.

Vous pouvez lire l'Avis du Connaisseur sur les vins issus de ce terroir.

Victor CANALES

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