Toutes les qualités

Osterberg

Au cœur de l'Alsace viticole, Ribeauvillé apparaît comme un lieu incontournable sur la route des grands crus. Trois terroirs prestigieux couvrent le versant nord de la vallée du Strengbach au creux de laquelle se niche la vieille cité : le Kirchberg, le Geisberg et l'Osterberg. Dernier venu de cette trilogie, l'Osterberg combine les vertus qui ont fait la renommée de ses deux voisins.


Campé entre le Kirchberg au sud et le Geisberg à l'ouest, l'Osterberg partage avec eux la même nature de sols, argileux, lourds et caillouteux, reposant sur du calcaire coquillier d'origine marine (Muschelkalk) formé il y a des millions d'années par l'effondrement du fossé rhénan. Il partage aussi cette faculté qu'ont les terroirs du champ de fractures de Ribeauvillé à donner des vins puissants et d'une grande finesse aromatique. Mais l'Osterberg ne se contente pas de prolonger les qualités affichées par ses deux rivaux, il les sublime dans un élan de superbe générosité.

Toutes les qualités
"L'originalité de l'Osterberg c'est de ne pas être un terroir original, affirme paradoxalement Jacques Sip-Mack de Hunawihr. Autrement dit, précise-t-il, il est inutile de chercher à mettre en exergue une des ses qualités, car il a toutes les qualités que l'on peut attendre d'un grand cru. Dans ses sols riches et profonds, bien drainés et exposés au sud-sud-est, la vigne ne souffre d'aucune carence. Cette synthèse d'éléments naturels favorise la culture des meilleurs cépages comme le riesling, le gewurztraminer et le tokay pinot gris."

La zone de Ribeauvillé est souvent présentée comme le berceau des rieslings athlétiques dont la minéralité croît avec le temps en développant les accents typiques d'hydrocarbures. Mais un grand cru est une conjonction d'éléments difficilement saisissables.

Dans aucune famille il n'y a deux enfants identiques. De même, la terre nourricière a doté chaque terroir de particularités. La morphologie du terrain, sa pente, son exposition et la multitude de combinaisons minérales qui forment la texture du sol changent d'un terroir à un autre, et c'est dans ces différences que réside la clé de l'influence particulière du terroir sur la vigne et de son empreinte spécifique sur le vin. "Dans les vins de l'Osterberg, contrairement à ce qui se passe dans d'autres grands crus de même nature géologique, ce n'est pas le côté minéral qui prédomine mais une remarquable acidité autour de laquelle se construit la structure du vin. L'évolution minérale est lente, en vieillissant, c'est plutôt l'aspect fruité qui s'affirme. Ces éléments traduisent le comportement du terroir sans que l'on puisse dire comment se fait l'alchimie," constate Christophe Mittnach de Hunawihr.

Formidable potentiel
"L'acidité des Osterberg peut paraître agressive au départ, mais à la longue elle devient un gage d'élégance. En se fondant dans le gras apporté par l'argile et la finesse des arômes libérés par les marnes, elle permet aux vins de conserver une belle jeunesse tout au long de leur vie", explique son collègue Philippe Schwach. Gras sans jamais être lourds, riches et larges en restant toujours fins, telles sont aussi les caractéristiques des superbes vendanges tardives et sélections de grains nobles engendrés par ce terroir, ajoute Martin Joggers de Ribeauvillé : "L'Osterberg renferme un formidable potentiel mais trop souvent on l'ignore encore".

Une ignorance entretenue par le comportement de certaines grandes maisons viticoles qui préfèrent utiliser les vins de ce terroir dans des assemblages de cuvées de marque plutôt que de les revendiquer en tant que grand cru. Mais peut-être aussi par certains vignerons qui semblent accorder plus d'attention à la promotion du Geisberg et surtout du Kirchberg, classés grands crus en 1983, qu'à celle de l'Osterberg classé en 1992, comme si le dernier venu, qui est en fait le plus grand en superficie (25 ha) devait être éclipsé par la renommée de ses deux prédécesseurs. Cette attitude à l'encontre de l'image de diversité de terroirs dont les grands crus sont les porte-drapeaux, freine la notoriété que l'Osterberg est en droit d'attendre. "Si les vignerons ne mettent pas en avant leurs vins de terroir, comment pourrons-nous les faire connaître à notre clientèle ?", se demande Bruno Maring, sommelier au Restaurant Maximilien de Zellenberg. Peut-être faut-il voir dans cette attitude la rançon de l'abondance ! Ribeauvillé est une des rares communes alsaciennes à posséder trois grands crus classés alors que le métier de vigneron n'est plus exercé que par une petite partie de la population. Lorsqu'on est peu nombreux, on ne peut pas être sur tous les fronts à la fois. Aujourd'hui, on demande au vigneron d'être cultivateur et gestionnaire, homme de labeur et des relations publiques et, aussi un peu visionnaire, mais aucun homme ne possède le don d'ubiquité.

Tables princières
Il est certain que dans les communes où les habitants tirent l'essentiel de leurs revenus du fruit de la vigne, l'identité vigneronne et l'attachement au terroir paraissent plus évidents. Pourtant, sous ses airs de modernité, Ribeauvillé se veut la gardienne des traditions viticoles qui au cours de siècles firent de la cité médiévale un des plus importants centre de production et de commerce de vin en Alsace. De nombreuses demeures de la vieille ville soulignent sur leurs façades la gloire d'une époque où les légendaires seigneurs de Ribeaupierre se faisaient les fervents défenseurs de la pureté des vins et du "gai savoir". Alors la trilogie Kirchberg, Geisberg et Osterberg était indissociable des tables princières, comme l'étaient les trois châteaux, qui dominent la vallée du Strengbach.

Trois grands crus, trois châteaux, trois tours de défense dans la vieille ville, ce nombre s'enracine dans l'histoire de Ribeauvillé comme un symbole universel qui présiderait à la destinée des lieux. L'Osterberg participe à cet équilibre cosmique où se combinent la terre, l'espace et le travail des hommes pour donner naissance à un des meilleurs crus du pays.

Le Coup de l'étrier
A la mairie de Ribeauvillé, on conserve deux coupes du XVIIIe siècle, chef d'œuvre d'orfèvrerie, qui servaient à offrir ce que l'on appelle aujourd'hui le vin d'honneur aux solennités de l'époque, mais qui jadis portait le nom de Willkomm ou de Johannistrunk.

Le Willkomm, raconte Charles Gérard, dans "L'Ancienne Alsace à Table" (1877), c'était le coup de bienvenue offert, dans des verres de notable dimension, à un ami ou à un hôte que l'on voulait honorer. Le Johannistrunk, le coup de la Saint Jean, venait couronner l'hospitalité à l'égard des hôtes d'importance, en leur témoignant le respect et l'affection qu'on leur portait. Il était offert au moment du départ de la cité, devant l'hôtel de ville, dans des coupes vermeilles, dans d'immenses hanaps d'argent, remplis du meilleur vin, au bruit des fanfares et des acclamations populaires. La plupart de temps on le prenait à cheval, ce qui lui valu le nom français de "Coup de l'étrier".

Mais la vie quotidienne avait aussi son ovation vineuse. C'était le Schlaftrunk, le coup du sommeil, que l'on prenait le soir avant de se coucher, en dégustant le plus généreux des vins des meilleures années. Cette pratique était surtout courante chez les bons bourgeois, les riches marchants, les chanoines, les abbés. Au milieu du XVIe siècle, la petite douceur avant d'aller au lit se transforma chez les notables en un véritable banquet nocturne où l'on servait à profusion des volailles, du poisson, du gibier, des pâtisseries fines et toute sorte de "curiosités lointaines accumulées chez les apothicaires".

Comme quoi, si la nuit porte conseil, un bon cru aide à bien la préparer !

Vous pouvez lire l'Avis du Connaisseur sur les vins issus de ce terroir.

Victor CANALES

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