Kirchberg de Barr

Lorsqu'on arrive à Barr, par la route de Strasbourg, on aperçoit sur la droite le Kirchberg. Une ligne sphérique se dessine dans le ciel. Entre la colline et le versant Est du massif du Champ du Feu, au dessous de laquelle s'épanouissent les vignes du Kirchberg. Il doit son nom à la chapelle Saint Martin érigée au sommet de la colline. En ces lieux le soleil brille plus souvent qu'ailleurs, d'aucuns prétendent que le saint protecteur y est pour quelque chose.


Orienté au Sud-Est, abrité des vents du Nord par la forêt qui coiffe la colline, doté d'un sol argilo-calcaire parsemé de cailloutis, le Kirchberg reunit les conditions idéales pour la production de vins de caractère, comme les Gewurztraminer et les Pinots Gris. Ce sont des vins capiteux, opulents fermés dans leur jeunesse, qui atteignent leur apogée après quelques années de conservation en cave. Vins de garde par excellence, les millésimes du Kirchberg peuvent se conserver pendant de longues années: "Nous avons des Gewurztraminer de 1937 qui sont un véritable régal", affirme Jean-Louis Lorentz-KIipfel, fils aîné d'une famille barroise comprenant cinq générations de vignerons. Son grand-père, Louis Klipfel, faisait partie de ces grands noms de Barr qui ont toujours cherché à améliorer l'image de marque des vins d'Alsace en misant sur la qualité. Des pionniers, comme Edouard Hering, se sont efforcés de mettre au point des règles, depuis la plantation des vignes jusqu'à la vinification, permettant d'obtenir un produit vraiment typique. La forêt qui protège le Kirchberg, plantée au siècle dernier par Edouard Hering, est un bouquet de louanges à la beauté du terroir.

Les vignes de Barr sont mentionnées, pour la première fois, dans un document du Ville siècle de l'abbaye de Fulda. Abbaye que l'on retrouve dans d'autres terroirs du vignoble alsaciens dont plusieurs sont à l'origine de "Grands Crus d'Alsace" actuels. La nature particulière du Kirchberg prédisposait ses vins à figurer à la toute première place de cette catégorie. Mais bien avant que la reconnaissance officielle n'intervienne, les vins du "Clos Gaensbroenel" et du "Clos Zisser", situés sur les pentes du Kirchberg, jouissaient d'une grande réputation.

Au XVIe siècle, il y avait à Barr quelque 600 viticulteurs qui vivaient du fruit de la vigne. En 1902, ils étaient encore 165 à tirer l'essentiel de leurs revenus de l'activité viticole. Aujourd'hui ils ne sont plus qu'une dizaine. C'est à Barr qu'a eu lieu la première foire du vin d'Alsace en 1906. Si la ville s'obstine à revendiquer le titre de "capitale vinicole" du Bas-Rhin, c'est précisément en référence à une époque où il existait chez elle une véritable symbiose entre la culture du vin et les autres activités de la commune.

Cette cité antique, dont les origines remontent au temps des Celtes, a connu plusieurs sièges et diverses catastrophes inhérentes aux guerres qui ont secoué l'histoire d'Alsace. Rattachée à la France en 1680, elle deviendra, trois siècles après, un important centre industriel, avec la teinturerie, la filature et la tannerie, entre autres. Cependant, le travail en usine n'empêchait pas de faire son vin, raconte Marie Anne Hickel, ancien professeur d'histoire et mémoire vivante d'un passé révolu.Un passé qui ressurgit encore dans la partie ancienne de la ville adossée à la pente du Kirchberg il se reflète au travers des maisons traditionnelles, le long des ruelles tortueuses qui grimpent en direction des champs de vignes. Au centre de la vieille enceinte, l'Hôtel de Ville conserve des vestiges du temps où la vocation viticole s'exprimait au quotidien. Le clocheton et la cloche qui surmontent cet édifice construit en 1640 témoignent de la parfaite organisation du commerce des vins, jadis, à Barr. "Autrefois, raconte Marie Anne Hickel, chaque fois qu'un acheteur se présentait en ville, on faisait sonner la cloche pour avertir le gourmet. Celui-ci amenait le client à la cave, lui faisait goûter le vin et en fixait le prix. Il garantissait aussi la qualité du vin, et tout porte à croire, convient Mlle Hickel, qu'il exerçait ses fonctions avec la plus grande équité, puisque aucune plainte à leur égard n'a jamais été enregistrée."Vin et droiture faisaient cause commune. Les statues qui ornent le pignon de l'Hôtel de Ville sont là pour en convaincre les sceptiques : d'un côté se tient l'auguste figure de la Justice avec la balance et l'épée, de l'autre une jeune femme qui porte une cruche...

II y a un lien étroit entre le travail de l'homme et la récompense dont la nature le gratifie. "Pour faire du vin de qualité, estime Charles Stoeffler, un jeune et audacieux vigneron de Barr, il faut des terrains de qualité, mais il faut aussi s'yaccrocher." La relation entre le vigneron et la vigne devient de plus en plus un combat pour la perfection. C'est une rude épreuve car la nature a des caprices qui ne correspondent pas toujours aux désirs humains, et, au bout du compte, c'est elle qui a raison. "On souffre quand on est perfectionniste, déclare Liliane Hering, une barroise engagée corps et âme dans l'exploitation viticole familiale; les années médiocres, poursuit-elle, on doit se résigner parce que c'est la nature qui donne cela, mais au fond de soi on est un peu triste. Heureusement, avec l'expérience on arrive à faire quelque chose de correct." Liliane Hering compare le travail du vigneron à celui d'une mère qui élève ses enfants: "Chaque année, précise-t- elle, la vigne nous fait redécouvrir la vie par étapes. Nous voyons démarrer la végétation comme un nouveau-né. D'abord elle est frêle, nous avons peur des gelées. Nous voudrions la protéger du froid comme on protège son petit enfant... Ensuite, cette végétation pousse, sauvage comme un jeune loup qui va partout. Le vigneron, personne sage, est là pour l'aider à s'orienter... Lorsque le raisin se forme, nous pouvons déjà, en l'observant, avoir une idée de la récolte. Puis il y a le mûrissement, et les vendanges qui récompensent les soins accordés à la vigne. Au bout du processus se trouve la satisfaction personnelle de faire un produit de qualité qui sera, également, apprécié par les autres, par le public. Quand on sait maîtriser la matière première, conclut Liliane Hering, quand on connaît ses faiblesses et ses atouts, on peut essayer par la vinification de faire quelque chose d'exceptionnel."

Nulle part cette passion "maternelle" ne se révèle aussi nécessaire que sur les pentes abruptes du Kirchberg. "C'est un terroir très expressif, dur, dit encore Madame Hering, le vigneron doit mener un combat contre la colline. Mais il le fait avec plaisir parce qu'il sait que les raisins trouveront, à cet endroit, les bonnes conditions de mûrissement. Au moment des vendanges, c'est une grande satisfaction de savoir que l'on récolte un Grand Cru."

Sur la colline du Kirchberg, où, dit-on, fut planté le premier pied de Gewurztraminer alsacien, beauté naturelle et travail humain se conjuguent. L'alignement des vignes, dans le sens de la pente ou en terrasse, forme un décor sobre et harmonieux. Un sentiment de paix, de bien-être, de liberté, nous saisit dans ces lieux, du haut desquels le regard domine la plaine rhénane jusqu'aux contreforts de la Forêt Noire. Au pied de cet ensemble majestueux, une dizaine de vignerons portent sur leurs épaules des siècles d'histoire viticole.

Victor CANALES

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