Un trésor inestimable

Hatschbourg

Le ciel et la terre distillent leurs bienfaits sur les pentes régulières de ce Grand Cru dans une sorte d'élan amoureux. Le soleil de midi caresse les pampres frémissants, qui s'élancent à sa rencontre, gonflés de sève et de subtils arômes puisés dans le substrat mamo-calcaire. Les vignes s'étendent à flanc de coteau, depuis les premières maisons de Voegtlinshoffen, au sommet, jusqu'à l'orée de l'agglomération de Hattstatt à la base.


La légende veut que le nom Hatschbourg, (autrefois Hattsburg), soit issu du premier château que les seigneurs de Hattstatt auraient bâti en ces lieux. Faute de preuves, l'énigme demeure. «Mais ce qui est bien réel, indique avec humour Henri Vorburger, adjoint au maire de Voegtlinshoffen. C'est l'existence d'un trésor inestimable dans ce terroir : il s'agit de ses vins ! Ses gewurztraminers harmonieux, aux arômes intenses; ses muscats fleuris et délicats : ses tokays-pinot gris fruités et bien charpentés.»

Tout vigneron authentique met son amour propre à vous persuader des vertus exceptionnelles de son terroir, de la qualité du sol, du micro-climat, de l'harmonie et du bouquet incomparables de ses vins. Ceux du Hatschbourg ne faillissent pas à la règle : «Ce Grand Cru est une partie du paradis», affirment-ils. Le divin nectar produit par ses vignes donne tout son sens à l'allégorie.
A cheval sur les territoires de Hattstatt et Voegtlinshoffen, le Hatschbourg établit un lien physique entre les deux communes et les relie à un passé mutuel où la viticulture est omniprésente. Durant des siècles elles ont suivi les destinées capricieuses de leurs maîtres communs. Successivement les évêques de Strasbourg, les seigneurs de Hattstatt, les princes de Habsbourg et les barons de Schauenberg. Les deux communautés ont prié dans la même paroisse jusqu'à la veille de la Révolution française et cultivé les mêmes terres jusqu'en 1858. Elles ont bénéficié des périodes de gloire de leurs maîtres et souffert de leurs déconvenues, en y apportant, parfois, leurs propres ingrédients anecdotiques pour bien souligner les relations de bon voisinage.

Le fil de l’histoire.
L'histoire du vignoble de Voegtlinshoffen et Hattstatt, à l'instar de celle de tout le vignoble alsacien, suit la trame de l'histoire d'Alsace. «Avant, la guerre de 30 ans, raconte Henri Vorburger, les vins de Voegtlinshoffen, jouissaient d'une grande notoriété.» Des documents anciens attestent la présence des vignes dans les coteaux avant même que le village ne soit mentionné, pour la première fois, en 1188. Au XIIIème siècle, les Augustins du couvent de Marbach, situé autrefois au dessus du village, vantaient les qualités des crus du coin et deux siècles plus tard, la reine de Hongrie y possédait ses propres parcelles. Hattstatt, issu de l'ancienne agglomération gallo-romaine «Altevic», semble avoir pratiqué la viticulture depuis l'Antiquité. Tout au long du Moyen Age, évêques et autres ecclésiastiques de Bâle et de Strasbourg possèdent des vignes autour de la cité. Vers 1690, l'église de Hatt-statt les cultive encore «in Hadtschburg», le Grand Cru actuel. L'Alsace était alors florissante, ses vins, en partance de Colmar, allaient conquérir les contrées humides de la Hollande, du Danemark et dissiper les brumes tenaces du Royaume-Uni.

Emporté dans la tourmente.
Après la guerre de 30 ans, la désolation est générale. Les villages ont été incendiés, les campagnes ravagées. Ceux qui, comme Hattstatt, possédaient des fortifications ont pu conserver quelques vestiges de leur ancienne architecture, que l'on retrouve aujourd'hui au détour des ruelles. Voegtlinshoffen, ouvert aux vents du large sur son promontoire, a failli disparaître dans la tourmente. Ses habitants se sont enfuis ou sont morts de misère. A la fin des hostilités, il restait une seule famille au village; elle avait survécu, cachée dans la forêt. Avec le temps, une nouvelle population, venue surtout de Suisse, s'installe sur les coteaux. Mais il faudra de nombreuses années avant que cette vieille terre d'Alsace, si souvent meurtrie par les hordes guerrières, rende en fertilité le poids des peines accumulées. Lorsque les vignes recommencent à fleurir elles sont aux mains d'une multitude de propriétaires qui, pour la plupart, vendent la récolte à des négociants. «Pendant très longtemps tout le monde avait des vignes, raconte Louis Baur, propriétaire-viticulteur à Voegtlinshoffen, mais très peu vivaient de la viticulture. Les gens pratiquaient la pluriactivité en allant travailler à la carrière, au dessus du village ou dans les mines de potasse.» «La carrière, exploitée pour la taille de pavés, ajoute Jeanne, son épouse, était le gagne pain de nombreuses familles. Les gosses suivaient leurs pères dès le plus jeune âge. Le travail cruel de la pierre faisait qu'aucun ouvrier ne dépassait les 40 ans.»

La relève des anciens.
Cette époque semble bien lointaine désormais. Au dessous des falaises de grès rosé, Voegtlinshoffen émerge entre les vignes, avec ses demeures fleuries de milliers de géraniums, tel un village des contes de fées. Le Hatschbourg a retrouvé sa notoriété sous l'impulsion de vignerons avisés, comme Joseph Cattin ou Xavier Hartmann. Le premier, surnommé «Le roi du muscat», à cause de son amour pour ce cépage à une époque où il était plutôt rare, fut un des pionniers du regreffage des cépages nobles pour vaincre le phylloxéra. Grâce à leur action, Voegtlinshoffen se vit décerner, en 1929, le diplôme de «Vignoble modèle», une distinction rarissime que la municipalité arbore avec fierté à l'entrée de l'agglomération.

Aujourd'hui, une nouvelle génération de viticulteurs assure la relève des pionniers du «renouveau du vignoble alsacien». Vignerons-récoltants à Voegtlinshoffen, Hattstatt, Obermorschwihr ou Wettolsheim, tous poursuivent fidèlement l'œuvre des anciens, sans pour autant ignorer les nouvelles réalités. En effet, si l'intérêt retrouvé pour les vins d'Alsace, constitue un hommage rendu aux terroirs et au travail des hommes de cette région, il réveille aussi l'appétit de prédateurs disposés à engloutir l'identité des exploitations familiales sous le flot des capitaux «anonymes». «Même si nos vins connaissent une période faste, les vignerons-récoltants ne doivent pas s'endormir sur leurs lauriers», indique Jacques Cattin, solide gaillard, généreux et plein d'entrain. «La survie de nos entreprises, poursuit-il, dépend de notre capacité à répondre à la fois à la demande d'un marché de plus en plus ouvert et à rester aussi près que possible d'une clientèle de particuliers, qui nous préserve des fluctuations conjoncturelles. D'autre part, ajoute-t-il, tout en gardant notre originalité, nous devons favoriser les initiatives individuelles afin de ne pas nous laisser distancer sur le plan de l'innovation. Très souvent ce sont elles qui permettent de progresser dans le perfectionnement de la qualité ou de découvrir des produits nouveaux. Des individus qui aujourd'hui semblent avoir tort, pourraient avoir raison demain», conclut-il en se référant au scepticisme qui avait accompagné le pinot noir et le crémant à leurs débuts.
Les jeunes vignerons-récoltants sont convaincus que le secret de la réussite est dans le dynamisme. Encore faut-il que celui-ci ne soit constamment frustré par les nombreuses tracasseries imposées depuis Paris ou Bruxelles, par des technocrates qui n'ont jamais vu un pied de vigne.

Apprivoiser le génie de la nature.
«Chaque grand vin porte l'empreinte de l'homme qui l'a fait. Cette realité permettra toujours de distinguer les vins du vigneron-récoltant de la masse de produits anonymes», estime Gérard Hartmann, proprié-taire-viticulteur à Voegtlinshoffen. «Dans le métier de vigneron, précise-t-il, comme dans la vie quotidienne, il y a toujours un petit truc qui fait qu'un vin n'est pas semblable à un autre, qu'une journée est différente de la veille.» Magnanime comme ses vins, Gérard Hartmann, surnommé «Gérard d'Alsace» et élevé au rang de poète-philosophe par ses pairs, décrit le travail de vigneron comme celui d'un artiste amoureux de la perfection. «Quand le génie est dans la nature, dit-il, l'homme se doit de l'apprivoiser pour engendrer l'oeuvre d'art qui sortira de sa cave.» Dans cet univers créatif, la sensibilité féminine ne pouvait être éternellement absente. Autour du Hatschbourg, comme dans d'autres lieux de la viticulture alsacienne, les femmes font leur apparition à la tête d'exploitations viticoles. Bien que peu nombreuses encore, elles se font tout naturellement une place dans ce monde, traditionnellement réservé aux hommes. «Ils se méfient, tout de même, ces gaillards !...Ils craignent pour leur fierté», observe malicieusement Nelly Buecher-Fix, installée à Wettolsheim.

Avant son mariage, elle assumait l'entière responsabilité de l'exploitation familiale à Voegtlinshoffen d'où elle est originaire. «Si l'on domine les arcanes du métier, il ne peut y avoir des problèmes», assure pour sa part, Régine Baur, sous l'oeil de son père Louis, visiblement ravi d'avoir transmis à sa charmante héritière, sa passion du vin et son exploitation viticole.
Fort d'une parfaite connaissance du travail de la vigne et de la cave, ces femmes vigneronnes apportent, en outre, leur sensibilité et leur aisance à la transmission de sensations que les vins du Hatschbourg savent offrir.
Privilégié par les substances du soleil et de la terre et par un savoir-faire qui s'affine de génération en génération, le Grand Cru se fait un point d'honneur à restituer chaque année son lot de récompenses, telle une déesse de la fécondité qui mettrait au monde des enfants chaque fois plus superbes, sans que son charme ne subisse la moindre altération.

Victor CANALES

Le site https://www.alsace-du-vin.com/ utilise des cookies

Cookies de session anonymes (nécessaires au bon fonctionnement du site).

Cookies de mesure d'audience     Refuser Accepter