La fleur et le minéral

Florimont

Le grand cru Florimont émerge à l'ouest de la localité haut-rhinoise d'Ingersheim, telle une île dans un océan de pampres. Les vignes ceinturent les flancs de la colline en forme de dôme coiffé d'une épaisse végétation, typique des terrains calcaires. Elles trouvent sur les pentes, exposées au sud et à l'est, entre 250 et 280 mètres d'altitude, les conditions d'une existence intime bénéfique à la naissance de grands vins.


Le chêne pubescent et son fidèle compagnon l'amélanchier, l'érable, le sorbier ou l'églantier, marquent les limites imposées au vignoble par l'abrupt rocheux qui surplombe le grand cru. Les vieux vignerons racontent qu'autrefois, au mois de mars, le sol se tapissait d'anémones et, en juin, d'orchidées sauvages, c'est pourquoi on appela l'endroit le mont fleuri, le Florimont. Ces filles du vent et de la lumière ont aujourd'hui émigré ailleurs, telles des elfes épouvantés par l'avidité des humains. Mais le thym et l'origan continuent à mêler leurs parfums au bouquet exquis des fruits de la vigne.

La fleur et le minéral
Les marnes qui structurent la plus grande partie du terroir engendrent des vins amples et subtils, d'une grande complexité aromatique. Cristallins dans leur robe jaune paille, ils invitent au partage du plaisir. Les gewurztraminers occupent la plus grande partie du grand cru. Ils traduisent une parfaite harmonie de fleur et de minéral typique des vins bien nés et bien élevés. Les tokays pinots gris peuvent paraître un peu discrets dans leur jeunesse, mais, au bout de quatre ans, ils affirment leur caractère en prenant possession du palais avec une belle aisance soutenue par une agréable acidité. Quant aux rieslings, en particulier ceux de la partie inférieure du terroir, ils semblent faire le lien avec les arènes granitiques présentes autour Florimont. Ils exhalent des notes légèrement pétrolées, qui s'effacent ensuite en bouche pour laisser place à une acidité citronnée, une structure ample et un fruité intense que l'on retrouve intacts dans des vins de plus de 12 ans d'âge.

" Le vignoble du Florimont s'épanouit au voisinage de deux autres grands crus de renom, le Brand de Turckheim et le Sommerberg de Niedermorschwihr et Katzenthal. Bien que ses voisins aient une constitution différente, faite de granit, comme eux il se caractérise par sa capacité à transmettre chaque année, au-delà du millésime, une remarquable complexité", déclare Pierre Boxler de Niedermorschwihr. Cette "griffe du terroir" se manifeste dans la noblesse des trois cépages nobles cultivés sur le Florimont, le gewurztraminer, le riesling, et le tokay pinot gris à condition toutefois que le vigneron exerce une action volontaire pour réguler les caprices de la vigne, souligne son collègue François Meyer de Katzenthal. " Le grand cru est situé dans une zone où le niveau de pluies est le plus bas de toute la France, environ 550 mm par an. Mais le sol est fertile et les marnes retiennent facilement l'eau. La vigne aura donc tendance à être généreuse. Il faut savoir la calmer, en particulier, par la pratique de l'enherbement qui crée une concurrence avec la plante et régule sa production. "

La bonne maturité
Dans le Florimont il n'y a pas de mauvais millésimes, surenchérit François Sorg d'Eguisheim. " Chaque année, le terroir apporte cette intensité aromatique et cette acidité d'agrumes qui distinguent ses vins de ceux des autres lieux-dits. Si cela ne se produit pas, c'est que le vigneron a failli à sa mission sur le grand cru. " Dans les vins de terroir, c'est l'empreinte génétique qui doit prévaloir, ajoute-t-il, en stigmatisant le comportement de ceux qui confondent degré Oechsle, c'est-à-dire taux de sucre contenu dans le raisin, et expression du terroir. " Les grands crus se singularisent par leur capacité à mener les raisins difficiles à la bonne maturité. C'est pourquoi ils sont réservés aux cépages nobles, des cépages tardifs qui subliment les substances minérales et le fruité. Les arômes se concentrent tout au long du développement du raisin et ils atteignent leur optimum à la juste maturité. Normalement, dès le mois d'août, la vigne ne doit plus faire des feuilles, elle doit nourrir les raisins. Or certains n'hésitent pas à pervertir les vertus du terroir en stimulant la vigueur des vignes surchargées de grappes, qu'ils vendangent, ensuite, le plus tard possible pour atteindre le taux le plus haut de concentration de sucre. Mais la surmaturation ne concentre que les arômes naturels qui se trouvent dans le fruit au moment de sa maturité normale. Parfois même, elle les alourdit, leur fait perdre de la fraîcheur et les atténue. Quand la vigne produit trop, le degré d'Oechsle ne garantit pas la qualité. Ce qui est acceptable pour un vin générique, ne l'est pas pour un vin de terroir fait de nuances et de finesse ", conclut François Sorg.

Une passion raisonnée
Une légende rapporte qu'entre Ingersheim et Katzenthal, les deux communes auxquelles appartient le grand cru, il existe une fontaine dont l'eau coule à flots les années précédant une famine. La seule fontaine que, jusqu'à présent, l'on ait trouvé c'est le vignoble du Florimont. Mais les vignerons-récoltants que nous avons rencontrés, bien qu'ils ne croient pas aux mythes, voient dans la légende des anciens un avertissement : quand la vigne produit en abondance, c'est un mauvais présage pour la notoriété des vins d'Alsace.

Autrefois, les terres d'Ingersheim et de Katzenthal faisaient partie d'un même ban. Aussi loin que l'on remonte dans temps, on retrouve, maîtres des lieux, les nobles et les ecclésiastiques impliqués dans les prouesses qui ont fait l'histoire d'Alsace et la renommée de ses vins. Depuis les moines de Murbach, au VIIIe siècle, jusqu'aux Ribeaupierre, en passant par les Hohlandsberg, les comtes de Lüpfen ou le baron de Schwendi, tous, nous dit-on, savaient apprécier les vins du Florimont et les faire connaître. Le poète Jean Fischart chantait en 1560, avec sa truculence rabelaisienne, l'arôme des vins enfantés auprès d'une flore exceptionnelle. La viticulture alsacienne a connu bien de vicissitudes depuis cette époque, remarque Pierre Boxler. " Aujourd'hui nous avons 50 ans de retard historique par rapport à la Bourgogne. Nous ne pouvons pas prétendre bénéficier de la même reconnaissance que les vins bourguignons, mais celle-ci fait son chemin. La notion de grand cru aide à découvrir le formidable potentiel de nos terroirs à long terme. Il faut avancer par étapes, sans procéder au viol psychologique des gens."

Les vignerons-récoltants sont aujourd'hui maîtres de leur destin. Ils sont les dépositaires de générations dédiées à l'approfondissement de la connaissance du terroir. " Nous avons des perles dans les mains qu'il faut savoir mettre en valeur", dit à cet égard François Meyer. Cette valorisation commence dans la relation intime que le vigneron entretient avec chaque parcelle de sa vigne et elle s'affirme dans la complexité, chaque jour plus raffinée, de ses vins. Ce privilège ne saurait être remplacé par aucun progrès œnologique.

Quand on regarde du haut du Florimont, on aperçoit le village ancien d'Ingersheim noyé dans l'urbanisation qui s'élargit en direction de Colmar. D'aucuns prétendent que l'esprit du baron de Ratsamhausen, seigneur du château de Katzenthal, qui avait donné son âme au diable, et celle de ses descendants, flotte dans les parages. Mais l'âme du grand cru aspire à une existence supérieure. Patiemment, elle se fraye un chemin dans la conduite raisonnée du vignoble et l'intimité des caves où le vigneron cultive sa passion.

Vous pouvez lire l'Avis du Connaisseur sur les vins issus de ce terroir.

Victor CANALES

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