Un Projet d’Avenir

Altenberg de Bergheim

Il y a, dans le vignoble alsacien, plusieurs Grands Crus qui portent le nom d’Altenberg. Une identité de nom qui désigne des lieux différents, de nature très diverse, dont l’unique similitude est d’être des terroirs de prédilection pour la culture de la vigne. Chacun l’est à sa manière, selon le potentiel géologique que son sous-sol renferme et l’usage que les vignerons en font.


L’Altenberg de Bergheim, est, à cet égard, un modèle d’unité dans la diversité.Campé sur le mont Grasberg, entre 220 et 320 mètres d’altitude, l’Altenberg épouse le versant sud du mamelon qui s’avance vers la plaine d’Alsace au-dessus de la commune de Bergheim. Il prolonge l’autre Grand Cru de la commune, le Kanzlerberg, dans le mouvement qui part à l’assaut de la colline, puis, vient s’incliner, en une sorte de révérence, au pied de la cité médiévale. Les rangées compactes des vignes annoncent une densité de plantation peu commune, signe de la volonté vigneronne de s’enraciner en profondeur.

Dimension géologique
Les Gewurztraminer et les Riesling occupent la plus grande partie des 35 ha, classés Grand Cru en 1983. Puissants et chaleureux, ils traduisent la formidable énergie du terroir et l’environnement chaud et paisible dans lequel mûrit le raisin. Les vins de l’Altenberg, sont des vins pour la postérité, déclare Sylvie Spielmann, vigneronne férue de vins de longue vie. « Les Riesling sont surprenants de vitalité, vibrants d’arômes du terroir, d’aubépine avec une acidité discrète qui se réveille en fin de bouche. Les Gewurztraminer, plus fruités que leurs voisins du Kanzlerberg, sont fins et élégants, très marqués aussi par la présence du terroir, qui, comme pour les Riesling, vient gommer les arômes de cépage. »

La dimension géologique de l’Altenberg, transforme le Grand Cru en atelier de création où le cépage est précisément relégué au rang de simple véhicule. Parler de cépage à Bergheim, apparaît presque comme un anachronisme. « Le cépage est l’alphabet qui permet au terroir d’exprimer sa personnalité, mais il y a plusieurs combinaisons possibles pour rendre compte de cette personnalité », déclare Jean-Michel Deiss, vigneron intrépide et rigoriste. Le caractère du terroir se fait dans le sous-sol, explique-t-il. « Dans l’Altenberg trois mondes s’interpellent sous terre : Le calcaire Aalénien, formé sous un climat tropical, les marnes du Keuper de la période glaciale et une assisse gréseuse teintée d’oxyde de fer qui souligne la spécificité du Grand Cru. La combinaison de ces différents facteurs constitue l’âme du terroir. C’est elle qui harmonise les contrastes successifs de la genèse des sols et des phénomènes naturels qui influencent l’environnement actuel. Elle crée un univers de possibilités occultes pour la vigne. ». Le rôle du vigneron consiste à l’aider à l’explorer, à faciliter le dialogue de fond par lequel s’expriment les potentialités du terroir. Autrement dit, il s’agit de contraindre la plante en surface pour qu’elle se libère en profondeur en organisant la concurrence entre les ceps. « Si l’on plante 10 000 pieds à l’hectare, la vigne est obligée de renoncer à la superficialité, de s’enfoncer dans le silence profond où s’épanouit la liberté intérieure qui nourrit toute création originale » conclut Jean-Michel Deiss, en extrapolant la Règle de Saint-Benoît à la culture de la vigne.

Maîtriser le potentiel
L’austérité cistercienne est d’autant plus nécessaire que le terroir se montre généreux et excessif, convient Charles Freyburger, de la maison Louis Freyburger et Fils. « L’Altenberg offre au vigneron tout ce qu’il peut désirer pour élaborer des grands vins. Mais ce terroir fertile, aux sols lourds, exposé plein sud et protégé des courants froids par la montagne Taennchel, est un monstre qu’il faut savoir dompter. » La maîtrise du potentiel de l’Altenberg exige une remise en question permanente de la façon de travailler la vigne et de la dictature du mono cépage, déclare Stéphane Martin œnologue de la maison Georges et Claude Freyburger. « Les vins de ce Grand Cru échappent toujours à ce que l’on croit savoir : puissants, chaleureux, fruités, d’une fraîcheur bienfaisante, ils sont expressifs, féconds et à la fois rebelles dans les arômes de terroir. Ils démontrent, en somme, que, au-delà du variétal, il y a une autre voie à explorer. »

L’attention que les vignerons de l’Altenberg prodiguent à leur terroir fait de leur démarche un apprentissage constant. Chacun a sa personnalité et sa méthode de travail mais, au-delà des différences, leurs vins soulignent les traits de caractère légués par une généalogie commune. «Parfois le vin envoie des messages que le vigneron doit interpréter, non pas seulement en s’interrogeant sur son travail, mais aussi en interrogeant son cœur et sa conscience. Dans l’Altenberg, le vin évoque ses origines minérales et son désir d’épanouissement », dit Sylvie Spielmann, en regrettant que, vingt ans après l’arrivée de l’appellation Grand Cru, le regard que certains lui portent se limite encore au reflet d’une bonne cuvée.

Schémas préétablis
La constatation flagrante que la notion de Grand Cru ne suffit pas à saisir toute la complexité du terroir a amené les vignerons de Bergheim à se fixer des règles plus strictes. Dès 1995, ils ont adopté la Charte de Qualité qui, entre autres, limite le rendement maximum à 50 hectolitres à l’hectare, banni la chaptalisation et fixe le degré minimum pour chaque cépage, en donnant plus d’importance à la maturité physiologique du raisin et moins à la quantité d’alcool qu’il contient. Puis, convaincus que la pratique du mono cépage bride les possibilités du terroir, ils ont franchi la barrière des catégories variétales. La co-plantation de vignes dans l’Altenberg et le pressurage commun de Riesling, Gewurztraminer et Pinot Gris font désormais partie de la démarche commune au service de la diversité et de la qualité.

Il va sans dire que cette conduite bouscule les schémas mentaux préétablis. Le consommateur habitué à chercher la saveur du fruit, peut se sentir quelque peu embarrassé en présence d’un vin d’assemblage, complexe, qui lui donne l’impression de croquer le raisin sans pouvoir dire de quel raisin il s’agit. Mais il faut parfois un choc pour faire avancer les mentalités, estime Christian Boulard, sommelier au Château d’Andlau. « Le grand défi, pour le vignoble alsacien, est d’apprendre au consommateur à apprécier des goûts et des lieux différents. En dégustant à l’aveugle certains vins d’Alsace, on croit reconnaître le terroir de Cramant en Champagne, un très beau coteau dans la Côte des Blancs, ce qui démontre l’aspect aléatoire du cépage. Aussi, quand le client demande un Riesling, par exemple, nous lui proposons des vins auxquels il n’aurait pas pensé de lui-même, de manière à le familiariser avec le terroir. Car, ce qui compte, c’est qu’il se souvienne de l’endroit d’où provient le vin plus que de la variété de cépage avec laquelle il est élaboré. »

« L’avenir des vins d’Alsace est dans le terroir, comme en Bourgogne, affirme le sommelier du Château d’Andlau. » Mais les terroirs de Bourgogne ne se sont pas fait du jour au lendemain, convient-il. En Alsace, il faudra, certes, dépasser le schéma réducteur du mono cépage, mais aussi se défaire du pêché originel qui consiste à étendre l’appellation de certains Grands Crus, ou Premiers Crus incontestables, à des parcelles qui ne le méritent pas. Quand on cherche à contenter tout le monde, on ne satisfait personne. « On entend trop souvent dire que l’appellation Grand Cru n’est envisagée par certains que sous l’angle d’une meilleure rémunération du vin. Pour démentir ces propos, il faudra apprendre à mieux vendre la qualité et le fruit du travail », observent, par ailleurs, les vignerons de Bergheim. Pour cela, le Grand Cru doit être conçu comme un projet d’avenir. Un projet destiné à révéler le formidable potentiel du terroir, le faire apprécier à sa juste valeur et assurer sa pérennité.

Vous pouvez lire l'Avis du Connaisseur sur les vins issus de ce terroir.

Victor CANALES

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